Salaire à la demande : atout concurrentiel ou cadeau empoisonné pour vos salariés ?

30 mai 2023

4min

Salaire à la demande : atout concurrentiel ou cadeau empoisonné pour vos salariés ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

On pourrait penser que le salaire qui tombe à la fin du mois est une institution qui a toujours été, mais ce n’est pas le cas. Pourquoi alors ne pourrait-on pas donner aux salariés leur paie au fur et à mesure des jours travaillés ? Notre experte en futur du travail Laetitia Vitaud s’interroge sur l’attrait du salaire à la demande, dans une période marquée par l’incertitude économique.

D’après un sondage OpinionWay de décembre 2022, près d’un Français sur deux préférerait recevoir sa paie au fil du mois plutôt qu’en fin de mois. L’objectif ? Faire davantage face aux imprévus. Et pour cause, aujourd’hui déjà, dans d’autres pays à l’image des États-Unis, les salariés reçoivent leur paie toutes les deux semaines. Bref, le salaire mensuel n’est pas universel. C’est une construction sociale qui peut, à ce titre, être revisitée.

Plébiscité par celles et ceux qui doivent s’acquitter de gros frais de découvert bancaire, le concept du « salaire à la demande » apparaît comme une possible solution de rendre plus « liquide » le salaire mensuel et d’offrir davantage de flexibilité aux salariés. Tous les employeurs devraient-ils alors le proposer ? Est-ce vraiment souhaitable ? Face à une inflation sans précédent depuis plusieurs décennies, la popularité de ce procédé ne cache-t-elle pas un danger immense, celui du surendettement ?

Un service attrayant sur le papier

Depuis quelques années, le salaire à la demande fait des émules. Aux États-Unis, les applications qui offrent aux travailleurs la possibilité de choisir le moment où ils peuvent accéder au versement de leur salaire sont de plus en plus populaires. Un nouvel avantage qui ne coûte pas grand-chose aux employeurs, les applications en question étant opérées par des tiers qui se chargent de transformer la gestion de paie pour eux. Gusto, par exemple, est un logiciel de gestion de la paie et des avantages annexes qui propose une fonctionnalité appelée « Flexible Pay » permettant aux salariés de choisir quand ils souhaitent recevoir le paiement du travail effectué, une fois activée par l’employeur.

Avec l’inflation, ce sont deux tiers des travailleurs qui disent vivre au jour le jour Outre-Atlantique, sans savoir s’ils pourront faire face aux factures qui grimpent. Devant ces difficultés croissantes, la possibilité de bénéficier du revenu de son travail quand on en a besoin, ce n’est pas du luxe ! Car les individus dans cette situation peuvent être poussés à se tourner vers des produits financiers prédateurs et prohibitifs à cause de simples décalages de trésorerie. Quand on n’a pas d’épargne, chaque jour d’attente peut coûter une fortune. La demande de crédits à la consommation augmente fortement depuis deux ans, et l’emprunt à la consommation représente plus d’un quart du revenu disponible des ménages américains.

La France n’est pas en reste. De nouveaux services du même type font désormais leur apparition. Stairwage ou Rosaly proposent notamment leurs applications de « salaire à la demande » pour aider les salariés à faire face aux grosses dépenses de début de mois et éviter les éventuels découverts. À l’image des concepts américains, les employés reçoivent ainsi leur paie au fil des jours, en fonction des heures travaillées, pour être plus à l’aise financièrement. Un principe qui a visiblement tout pour plaire.

Selon un sondage OpinionWay, un Français sur deux aimerait effectivement bénéficier de cette modalité de rémunération. Ils seraient même 67 % chez les moins de 35 ans. Leur motivation principale ? Éviter les découverts bancaires. Ces derniers frappent 60 % des Français de temps à autre, alors qu’ils ignorent le montant des agios prélevés par leur banque. Et là où le bas blesse, c’est que près de la moitié des salariés disent s’être retrouvés dans cette situation en raison d’un salaire versé tardivement… On comprend pourquoi la promesse principale de ce type de service consiste à diminuer le stress et améliorer le bien-être au travail.

Véritable cadeau ou pomme empoisonnée ?

Faut-il pour autant voir le salaire à la demande comme un cadeau ? Pas nécessairement… D’abord, l’acompte du milieu du mois est un droit (souvent méconnu) déjà prévu pour les salariés ! En effet, selon l’article L3242-1 du Code du travail, « un acompte correspondant, pour une quinzaine, à la moitié de la rémunération mensuelle, est versé au salarié qui en fait la demande ». Sans compter que cette modalité peut se transformer en piège pour les salariés qui l’utilisent. Certes, les découverts grèvent leurs finances personnelles. Mais ces derniers ne sont pas toujours causés par un décalage de trésorerie. Ils sont parfois le reflet de problèmes plus structurels qui peuvent mener tout droit à l’endettement, voire au surendettement.

En somme, si vos dépenses, gonflées par l’inflation, sont systématiquement supérieures à vos revenus, aucune flexibilité de paiement n’y fera rien, vous allez devoir vous endetter. Pire, cette souplesse de paiement peut conduire les individus à dépenser davantage… et donc à se mettre en danger. Si le salaire à la demande est dépensé au fil du mois pour faire face aux petites dépenses, les collaborateurs risquent de ne pas être bien plus avancés au moment du paiement de leur loyer, principale dépense du mois. Aujourd’hui, un quart des Français disent avoir des difficultés à payer leur loyer et/ou à craindre de se faire expulser !

Par ailleurs, la période d’inflation n’aide pas. Depuis deux ans, les salaires augmentent moins vite que l’inflation. D’après les statistiques du Ministère du Travail, on constate 1,7 point de différence entre la hausse des salaires et l’inflation sur l’année passée. La conséquence ? Le « salaire réel » (le pouvoir d’achat) sur la période a donc reculé ! La fréquence des négociations salariales ne suit pas le rythme de l’inflation. Et enfin, il n’est pas inutile de rappeler que ce sont les salariés, payés à la fin du mois pour le mois passé déjà travaillé qui « avancent » leur employeur ! D’autres travailleurs (notamment certains artisans) se font payer avant que le travail ne soit terminé. D’une certaine manière, ce sont les salariés qui font tous les mois un cadeau de trésorerie à leur employeur.

En somme, les applications permettant le salaire à la demande peuvent apporter des facilités à celles et ceux qui les utilisent. Mais attention à ne pas présenter ce service aux salariés comme un « cadeau ». Leur sujet principal de préoccupation reste leur pouvoir d’achat. Leur offrir plus de flexibilité quand ils se paupérisent, cela pourrait être perçu comme un pansement sur une jambe de bois. « Est-ce qu’on me prend pour un c.. en plus de me plumer ? » Voilà la question à éviter à tout prix, y compris si ce prix est une augmentation salariale…

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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