« Silent treatment » : comment réagir face à la punition par le silence au travail ?
14 déc. 2023
5min
Rédactrice & Copywriter B2B
Être ignoré·e par un·e collègue et subir son silence en guise de sentence peut engendrer une vraie souffrance au travail. C’est ce que l’on appelle le traitement silencieux, une forme de violence psychologique plus répandue qu’on ne le pense.
« Ma collègue ne m’adresse plus la parole depuis un mois et j’ignore pourquoi, raconte Vanessa (1), 38 ans, secrétaire de direction. C’est la deuxième fois en trois ans. Alors que nous nous entendions bien, brusquement du jour au lendemain, elle est devenue froide, distante et a cessé de me parler sans aucune explication… » Vanessa semble être victime de “silent treatment” au travail, en français le « traitement silencieux » ou la « punition par le silence ». Il s’agit d’une forme de manipulation psychologique utilisée pour punir autrui, qui se caractérise par l’absence de communication verbale et l’évitement de tout contact visuel. En refusant la conversation, l’abuseur prend le pouvoir sur l’autre pour mieux le ou la sanctionner. « J’ai eu recours à cette technique avec deux collègues au cours de ma carrière, se souvient Jean-Pierre (1), 70 ans, employé de bureau à la retraite. Ils avaient tous deux été désagréables avec moi. Mon silence pendant plusieurs semaines, les a tellement marqués, qu’après cela ils étaient tout mielleux avec moi. »
À ne pas confondre avec le fait de « bouder », de prendre ses distances après un conflit ou encore de choisir de ne plus parler à quelqu’un car on ne l’apprécie pas ou qu’il nous fait du mal ; le silent treatment, vise à torturer l’autre, qui, par ailleurs, ne comprend pas toujours ce qui lui est reproché. « À la différence d’autres formes de silence observées chez les employé·es pour se protéger, garder leur emploi ou parce qu’ils et elles ne trouvent pas utile de s’exprimer, ce type de silence a pour intention la vengeance, explique le docteur Rahman Khan, co-auteur d’une étude menée sur le sujet à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA). C’est un moyen de prendre sa revanche suite à une incivilité subie au travail. »
Une vengeance qui prend ses racines dans des raisons plus ou moins profondes, selon la susceptibilité de chacun·e. Ainsi, il arrive qu’une réflexion « anodine » puisse vexer au point de déclencher ce silence vengeur : « Je n’ai pas apprécié que l’un de mes collègues s’étonne de la quantité de nourriture dans mon assiette, poursuit Jean-Pierre. Il m’a dit devant tout le monde : “Tu vas vraiment manger tout ça ? Tu as de l’appétit !” Ça peut paraître rien, mais sur le moment je me suis senti jugé et rabaissé. Alors oui… je me suis un peu vengé… »
Le silent treatment, une souffrance au travail
Cette maltraitance peut avoir des répercussions émotionnelles, psychologiques et physiques importantes sur les personnes qui la subissent. Notamment parce que l’être humain est une espèce naturellement sociale qui a besoin de ses congénères pour se sentir connecté et accepté. Subir la désapprobation d’une personne et être mis·e à l’écart sans explication, peut engendrer une perte d’estime et de confiance en soi. Dans certains cas, cela peut même devenir une souffrance au travail conduisant à la dépression. « Je peux vous dire que ça fait un choc, se souvient Vanessa. La première fois, j’étais persuadée d’avoir fait quelque chose de mal, je m’en voulais. Je me disais que ça devait être grave pour que ma collègue cesse de me parler, au point de ne même pas pouvoir m’expliquer. Alors je me torturais en me repassant nos journées et nos conversations en boucle pour essayer de trouver ce qui avait pu la blesser. »
La personne qui subit un traitement silencieux cherche souvent à rétablir la communication, ce qui est particulièrement jubilatoire pour son bourreau. Elle peut en arriver à s’excuser pour des choses qu’elle n’a pas faites, ou changer de comportement dans l’espoir que cela prenne fin. « J’ai fait quelques tentatives pour que l’on se réconcilie, ou au moins que l’on discute. J’ai par exemple accompli certaines de ses tâches pour la soulager, mais cela n’a rien changé… jusqu’à ce qu’elle me reparle spontanément au bout de deux mois. »
Si elle estime que la punition a assez duré, la personne abusive peut en effet se comporter de nouveau normalement. À ce moment-là, elle peut même tenter de justifier son attitude en s’auto-victimisant pour attiser la pitié de « sa victime » et lui faire oublier son comportement. « Lorsqu’elle m’a reparlé, ma collègue m’a dit qu’elle avait traversé une crise dans son couple, explique Vanessa. Sur le moment, j’étais désolée pour elle et heureuse que cette situation se termine, car on retrouvait notre complicité. Nos bureaux sont quand même côte à côte, donc c’est plus agréable. Mais avec le recul, j’ai trouvé cette explication bizarre. Et maintenant que ça recommence, je suis convaincue que ce n’était qu’une excuse, qu’elle veut simplement que je lui cours après… c’est malsain et pervers. »
L’ostracisme (le fait d’exclure quelqu’un, comme c’est le cas avec le traitement silencieux, ndlr) a fait l’objet de plusieurs études en psychologie du travail. « Tous les employés ont besoin de sentir que les autres reconnaissent et apprécient leur présence au travail, explique Jane O’Reilly, professeure en Comportement organisationnel et Ressources Humaines à l’Université d’Ottawa. En réalité, les gens pensent que le fait d’être mis à l’écart est moins douloureux psychologiquement que le harcèlement. Mais c’est le contraire ! L’ostracisme est tout aussi nocif, voire plus, que le harcèlement. Des recherches en neurosciences ont montré que l’expérience de l’ostracisme créé dans le cerveau un schéma qui imite l’expérience de la douleur physique. » En somme, être ignoré·e et exclu·e au travail peut engendrer des réactions physiques, comme une perte ou une prise de poids, des troubles du sommeil, une hausse de l’hypertension ou encore des problèmes digestifs. « Après une semaine, j’avais la boule au ventre en permanence, confie Vanessa. J’étais stressée, crispée, triste, je ne comprenais pas. J’avais du mal à me concentrer, à manger et même à dormir. J’y pensais tout le temps… C’était très violent à vivre. »
L’impact du silent treatment sur les entreprises
Si le traitement silencieux a un impact délétère sur la santé des employé·es, il nuit également aux entreprises. « D’après nos conclusions, les employés victimes d’incivilités se vengent non seulement de leurs collègues, mais aussi de leur entreprise, explique Rahman Khan. Ils considèrent que leur boîte a sa part de responsabilité dans leur mal-être. Souvent, ils nuisent intentionnellement à l’organisation en brouillant la communication au sein de l’équipe, ce qui empêche son bon fonctionnement. »
Selon la Pr Jane O’Reilly, le traitement silencieux a également « un impact négatif sur la productivité des employé·es victimes, qui sont moins enclin·es à performer ». Fragilisé·es par la situation, ils et elles ont tendance à appréhender de venir travailler (avec une plus grande tendance à se mettre en arrêt ou à quitter leur poste), à perdre leur motivation et à se désengager.
Faire face au silent treatment
Si vous êtes victime de traitement silencieux, souvenez-vous qu’il s’agit d’un abus psychologique. Essayez donc de vous en détacher émotionnellement et de ne pas tomber dans le panneau : vous ne pouvez pas forcer un·e collègue à vous parler s’il ou elle en a décidé autrement. Refuser la communication est son choix, sa responsabilité. Cependant, si le traitement silencieux perdure et qu’aucune de vos tentatives de communication n’aboutit, n’hésitez pas à faire remonter le problème. Ne culpabilisez pas, ne vous torturez pas et parlez-en simplement à votre manager, vos RH ou votre employeur. Car si cela vous affecte, cela affecte aussi l’entreprise. Bien qu’il soit encore méconnu, le traitement silencieux au travail est une forme de violence psychologique qui ne doit pas être niée ou minimisée.
En alertant vos supérieur·es, vous montrez également à votre abuseur que sa stratégie de manipulation ne fonctionne pas et le mettez face à ses responsabilités. Vous pouvez ainsi engager des actions concrètes comme demander l’intervention d’un·e médiateur·trice pour rétablir la communication, l’accompagnement d’un·e coach relationnel et/ou le soutien d’un·e psychologue du travail pour apprendre à gérer la situation.
Une fois le contact rétabli, n’hésitez pas à poser un nouveau cadre à cette relation de travail : expliquez que vous n’avez pas apprécié son attitude, que ce n’est pas professionnel et que discuter est encore la meilleure façon de désamorcer un conflit. Rappelez-lui également que son comportement peut nuire au reste de l’équipe et de l’entreprise si votre collègue n’en a pas conscience.
Vous l’aurez compris, il existe des solutions. Le tout est d’oser en parler et d’explorer vos options. Votre bien-être et votre santé mentale sont prioritaires, alors préservez-les !
(1) Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat
Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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