Travailler plus pour… polluer plus ? La gronde anti-réforme des militants écolos
25 avr. 2023
6min
« Aujourd’hui, on nous pousse à travailler plus pour produire plus, consommer plus et polluer plus, mais on dirait que tout le monde à oublié les limites planétaires ! » Dans les récentes manifestations contre la réforme des retraites, ils et elles sont nombreux, les jeunes et les militants qui comme Lou Chesné se rebiffent contre une vision du monde du travail qui va à l’encontre de la crise climatique et des enjeux en cours. Rencontre dans le cortège parisien.
Sur sa poitrine, Dana, 24 ans, arbore un autocollant. On peut y lire : « retraite, climat, même combat ». Au milieu du cortège parisien contre la réforme des retraites, le 6 avril dernier, le slogan de l’étudiante en cinéma détonne, elle qui se définit comme « porteuse de la voix de la planète ». Pourtant, elle l’assure, ils sont nombreux, celles et ceux qui, comme elle, ne fustigent pas tant le fait de travailler deux ans de plus, que le fait d’intensifier un système qui conduit la planète (et l’humanité) à sa perte. « Déjà dans les marches pour le climat, on était une majorité de jeunes. On se battra jusqu’au bout pour faire valoir nos droits et une politique plus écologique. »
Que signifierait travailler jusqu’à 64 ans, dans un monde à trois degrés de plus de réchauffement ? C’est la question que de nombreuses pancartes posent dans les manifestations, si l’on prend le temps de les chercher. Leurs porteurs et porteuses dénoncent une réforme climaticide, en totale contradiction avec l’objectif écologique national. En effet, le 6ème rapport du GIEC - grand oublié de l’actualité - nous dit que « L’objectif est de limiter le réchauffement global à 1.5°C, ce qui nécessite un pic des émissions de CO2 en 2025 au plus tard puis une décroissance jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. » Seulement, appuie ses contradicteurs verts, cette nouvelle loi pousse toujours plus à la surproduction et à la surcroissance, ce qui balaye d’un revers de la main l’objectif climatique.
Chaleur et intensification du travail pénible
Non seulement l’objectif de décroissance semble être ignoré, et la population appelée à trimer jusqu’à l’épuisement, mais les détracteurs de cette réforme craignent également un durcissement général des conditions de travail dans les années à venir. En raison du réchauffement climatique global, beaucoup de métiers déjà harassants (comme ceux du tertiaire ou de l’industrie, par exemple) devraient s’intensifier. Selon Anne Lecorre, porte-parole du syndicat Printemps Écologique, « Le gouvernement ne cherche pas à adapter son modèle économique ni ses conditions de travail à l’urgence écologique, alors qu’on sait très bien que ça aura un aspect sur la santé au travail. » Dans la liste des victimes, on retrouve par exemple les ouvriers du BTP qui seront amenés à défier la chaleur des toits sous 40 degrés, ou encore les agriculteurs qui devront non seulement travailler toute la journée sous le soleil, mais également tenter tant bien que mal de faire survivre leur bétail en périodes de longues pénuries d’eau.
S’ajoute aux conditions de travail déclinantes un questionnement lié à l’âge. L’espérance de vie en bonne santé en France est estimée à 62 ans, selon l’OMS. Avec un départ à la retraite à 64 ans, plus de la moitié de la population sera en souffrance ou en incapacité d’exercer. « On continue à nous faire croire au mythe de la surpuissance humaine et aux voitures volantes. Notre espérance de vie augmente peut-être, mais notre santé régresse ! », se révolte Clara, étudiante en lettres, militante à la CGT. Le durcissement de la prime de pénibilité, point d’orgue de cette réforme, vient de surcroît attiser le sentiment de non-reconnaissance des travailleurs. « Cette réforme est la même que celle proposée en 2019, il n’y a donc aucune considération de la prise de conscience post COVID » soulève Céline Marty, agrégée de philosophie et experte du LAB de Welcome to the Jungle. En effet, beaucoup de réflexions quant à la place du travail dans nos vies ont émergé suite à la crise sanitaire. Pourtant, cette huitième réforme semble les ignorer, si l’on écoute les militants écologistes. Gaspard, étudiant en sciences politiques qui défile derrière le cortège de Sud - et dont la pancarte en carton réclame la semaine de 32 heures - , s’insurge : « avec cette réforme, ce sont une fois de plus les plus pauvres et les plus indispensables qui sont punis en premier. On a bien régressé depuis la loi des 35 heures…»
Sur les plans éducatif et culturel liés à l’écologie, les militants s’inquiètent également du déclin de la vie associative, animée en grande partie par les jeunes retraités. Les jardins partagés, les ateliers de sensibilisation à l’écologie ou encore les multiples associations sur le modèle des tulipes contre les cancer - lieux de prise de conscience et d’éducation populaire, notamment sur le changement climatique - pourraient avoir beaucoup plus de difficultés à subsister dans les années à venir.
Cotiser pour financer la pollution
Pour les syndicats écologistes, les critiques ne s’arrêtent pas là. Ils alertent : capitaliser les retraites serait polluant. D’après Attac, le système politique actuel favoriserait les comportements climaticides des grosses entreprises et des ultra-riches. Puisque les Français moyens (ceux qui peuvent se le permettre du moins) vont tendre à épargner pour faire fructifier leur maigre butin sur des comptes en banque, celles-ci devraient continuer à s’enrichir. Seulement, selon Lou Chesné, jeune membre d’Attac Paris, « Les fonds qui spéculent pour mettre au point la retraite par capitalisation sont des fonds climaticides. » Ce sont en effet ces mêmes banques qui investissent aujourd’hui dans des projets à énergie fossile. « On précarise les plus modestes et on finance des projets polluants avec l’argent de ceux qui épargnent », nous dit Clara, manifestante révoltée. « Il existe pourtant une solution plus éthique toute simple : une meilleure répartition des richesses. »
« On pense encore que pour être un pays puissant, il faut produire plus de richesses », poursuit Lou. Selon elle, c’est tout le système qui est obsolète, car basé sur un vieux logiciel. Les indicateurs de croissance, tel que le PIB, sont d’ailleurs décriés depuis les années 80 par les économistes et les sociologues, appuie pour sa part Céline Marty, également autrice de Travailler moins pour vivre mieux. Lou complète : « la prospérité d’un Etat ne peut plus être mesurée uniquement selon son pouvoir d’achat ». Il suffit de regarder les records économiques battus par les super-riches ces dernières années pour confirmer que la France est un pays riche. « Le problème n’est donc pas le volume, mais la répartition, puisque les plans de relance de 150 milliards pour aider les entreprises ont été versés sans aucunes conditions », conclue la syndiquée.
« La croissance verte, c’est l’argument de ceux qui ne veulent rien changer » - Anne Lecorre, porte-parole du syndicat Printemps Ecologique.
Croire en la décroissance
Selon la philosophe du travail Céline Marty, l’écueil majeur de cette réforme est qu’elle projette les travailleurs dans un futur qu’on ne connaît pourtant pas encore. « En raison du réchauffement climatique, on n’est pas capables de savoir comment on va travailler dans 20 ans, même les organismes gouvernementaux qui font de la recherche n’ont pas encore la réponse à cette question. » Au vu du violent changement climatique, « l’incertitude devrait inciter à la prudence », affirme la chercheuse. Au lieu de penser un système d’organisation plus résilient qui permettrait de faire l’économie du travail, l’Etat fait le choix d’augmenter la charge de travail par tête. Mais « Est-ce qu’on a besoin que tout le monde fasse huit trimestres de plus ? » se questionne Céline Marty. « On impose une réforme à toute la population, indépendamment d’une réflexion sur les priorités de secteurs dans lesquels on devrait investir du travail humain. »
Les militants écologistes appellent à l’unisson à plus de solidarité. Leur lutte contre l’inaction gouvernementale semble être à toute épreuve. « Les solutions proposées sont des placébos » nous dit Gaspard. En tête de liste, la croissance verte est pointée du doigt. Selon Anne Lecorre, « c’est l’argument de ceux qui ne veulent rien changer ». Dans un article daté de février 2022, Alain Grandjean, membre du Haut conseil pour le climat ne passait ainsi pas par quatre chemins : la croissante verte est, pour l’économiste, « une chimère ». Selon lui, « elle s’apparente à une pensée magique qui donne l’illusion de pouvoir continuer à produire et consommer plus grâce au progrès technique ». La seule solution possible, s’accordent les syndicats écologistes, reste la sobriété énergétique, voire la décroissance, ou encore la démondialisation pour les plus extrêmes.
L’écologie s’ajoute à une liste de combats déjà existants
Dans la foule pro-environnement qui bat le pavé, les femmes sont visiblement plus nombreuses que les hommes. Une sensation qui se reflète dans les chiffres au quotidien : ces dernières sont aujourd’hui encore les plus ferventes défenseuses de la planète. Certains parlent même d’une « charge environnementale », qui s’ajouterait à la liste de la charge mentale féminine. Et c’est là que la réforme enfonce encore un peu plus le clou selon les militant·e·s : en précarisant encore davantage les travailleuses, celle-ci ne fait que précariser la voix des protecteurs du climat. Ecologie et féminisme seraient alors intimement liés, comme en témoignait déjà la pionnière de l’écoféminisme Françoise d’Eaubonne dans son ouvrage pour le moins dénonciateur “Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?” en 1978. Ce n’est pas anodin s’il est aujourd’hui remis au goût du jour dans une réédition piquante, en plein contexte de lutte écologique.
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Article édité par Clémence Lesacq - Photos Thomas Decamps pour WTTJ
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