Turn-over : le départ d'un collaborateur vous coûte plus que vous ne l'imaginez
22 juin 2023
5min
Principale richesse d'une organisation, les salarié·es représentent (aussi) un investissement conséquent. Alors, quand ils décident de quitter le navire, les conséquences pour l’organisation ne sont pas négligeables : impacts budgétaires, déperdition des savoirs, baisse de l’engagement… Quels sont les coûts réels du turnover ? Et quelles solutions mettre en œuvre pour réduire ses effets néfastes ? Décryptage de nos expertes du Lab Céline Méchain et Bénédicte Tilloy.
Le turnover ou taux de rotation est un indicateur RH qui permet d’évaluer le renouvellement du personnel au sein d’une entreprise sur une période donnée. S’il est élevé, un signal d’alarme est envoyé : les départs de collaborateur·rices sont anormalement nombreux par rapport au nombre total de salarié·es. Ces mouvements engendrent de nombreux effets collatéraux qui coûtent cher à l’organisation, à plus ou moins long terme. Il existe des coûts directs, plus facilement quantifiables (recrutement, onboarding…), et des coûts indirects, plus difficiles à appréhender, mais dont l’addition peut vite grimper s’ils ne sont pas juguler (désengagement…).
Départ d’un·e salarié·e : comment évaluer les coûts directs ?
Le coût du départ est difficilement calculable car les dépenses fluctuent en fonction du poste occupé par le salarié démissionnaire, de son niveau de rémunération, de son expérience ou encore de ses responsabilités.
Quelques pistes de calcul existent cependant :
Gallup estime que la valeur d’un employé de remplacement est égale à la moitié ou au double du salaire de l’employé d’origine. Le turnover peut donc avoir une incidence considérable sur les résultats financiers !
Le cabinet Hays chiffre le coût d’un mauvais recrutement (départ avant 12 mois), en moyenne, entre 45 000 euros et 100 000 euros de pertes directes et indirectes pour l’organisation.
Pour élaborer un calcul réaliste, il convient de prendre en compte:
Le recrutement : soit les honoraires du cabinet de recrutement ou du chasseur de têtes, soit 15 à 25 % du salaire annuel brut du/de la salarié·e selon le cabinet Hays. Il y a également le coût des heures de travail consacrées aux recrutements par les équipes RH en interne, les éventuelles primes de cooptation versées aux salarié·es, la communication (LinkedIn, jobboards…).
L’onboarding : la rémunération respective du nouveau et de l’ancien collaborateur pendant la période de prise de poste, avec une productivité basse pour les deux, les heures consacrées à la passation par l’ensemble de l’équipe ou encore les événements.
L’offboarding : le départ d’un talent engendre aussi son lot de dépenses pour gérer les aspects administratifs et légaux, parfois une indemnité de départ ou encore la gestion des équipes RH (entretiens de sortie…).
Turnover : 4 coûts indirects à prendre en compte
Le risque de désengagement diffus
Un·e salarié·e démissionnaire est, par essence, moins productif·ve et engagé·e : « Quand un·e employé·e recherche un emploi, il y a une baisse évidente de sa productivité. Elle est aussi moins engagée auprès de l’entreprise avec le risque que cela se propage au sein de l’équipe et influence négativement la motivation des collaborateur·rice·s », explique la DRH et experte du Lab Céline Méchain. Le départ d’un collègue peut en effet impacter les employés actuels, surtout s’ils entretenaient une relation particulièrement amicale ou de longue durée. Or, le coût du désengagement est colossal : 14 310 euros par an et par salarié selon l’étude du Groupe APICIL et du cabinet MOZART Consulting qui a modélisé l’IBET, l’Indice de Bien-Être au Travail.
La dissémination de la culture et des savoirs
Le départ d’un·e salarié·e expérimenté·e et formé·e au sein de l’entreprise est toujours une perte importante pour le collectif de travail. « Le savoir d’une entreprise, c’est la somme des savoir-faire individuels : quand une personne s’en va, elle part avec une partie du capital culturel et de connaissances de l’entreprise, malgré les efforts de passation », souligne l’autrice et conférencière Bénédicte Tilloy. Le départ des plus ancien·nes est particulièrement sensible car ils emportent une part de l’historique de l’entreprise. « En start-up par exemple, la culture a été créée et transmise par l’équipe fondatrice et ses plus anciens contributeurs. Si certains d’entre eux partent, ce qui est normal quand l’entreprise atteint 150-200 personnes, c’est une part de la mémoire qui s’en va. Le passage de relais risque de se faire de manière moins efficace lors de l’onboarding notamment », alerte Céline Méchain.
La déstabilisation transitoire du collectif
Un départ produit souvent de « la casse dans l’équipe » d’après Bénédicte Tilloy. « Même si l’on apprend de chaque expérience, les passations ne sont pas évidentes à gérer. Le collectif est abîmé : à chaque fois, il y a une alchimie à reconstruire avec une autre personne », ajoute-t-elle. Cette déstabilisation peut être liée également à la réallocation temporaire de la charge de travail et au déséquilibre engendré. « Une fois que la démission est annoncée, la période de préavis est souvent écourtée. Les tâches doivent pourtant continuer à être gérées ! Résultat : il y a un pic de charge pour ceux qui restent, ce qui peut provoquer des tensions internes », alerte Céline Méchain.
Une marque employeur entachée
« Des départs, surtout s’ils sont nombreux, affectent l’image de la société. Par exemple, les nouveaux entrants apprennent que la personne qui les a interviewés n’est plus là : cela produit une forme de conception et de méfiance », affirme Céline Méchain. Idem pour les talents à recruter : 96 % des candidats prennent en considération la marque employeur. Une image dégradée par des départs constitue un vrai frein en matière de recrutement, notamment dans un contexte de guerre des talents. À contrario, une marque employeur forte réduit les coûts de recrutement de 43 % (selon la même source).
3 pistes pour limiter les impacts des départs
Oser crever l’abcès
« Il faut prendre le temps de comprendre les raisons profondes du départ. Via une exit interview (entretien de départ), l’équipe RH doit obtenir un maximum d’informations pour que l’entreprise puisse se remettre en question. Je recommande que le recruteur mène cet entretien si le départ est prématuré car la personne se confiera plus facilement », explique Céline Méchain. En complément, réunir l’équipe avec la personne démissionnaire est une bonne pratique. « Ça permet de limiter les interprétations en explicitant les raisons du départ et en laissant chacun·e poser ses questions. C’est une forme de reconnaissance du travail conduit avec un partage collectif des enseignements », souligne Bénédicte Tilloy. Cette étape doit faire partie d’un processus plus global d’offboarding, afin d’organiser une sortie sans couture (ou presque).
Communiquer de manière efficace
La communication d’un départ reste un exercice délicat. Mal gérée, les effets peuvent être néfastes sur l’entreprise et la dynamique salariale. « Il existe différents moments clés : l’annonce du démissionnaire au RH et au manager. Ensuite, il faut travailler en trio sur le plan de communication en analysant les impacts du départ. L’idée est de prévenir les populations les plus impactées en premier lieu. Il faut aussi prendre en compte la taille de l’équipe,de l’entreprise et de sa culture », explique Céline Méchain. Autre variable à considérer : le poste de la personne qui part. « Si c’est un grand patron, les COMEX sont bien rodés pour annoncer les départs. C’est important d’avoir un narratif entendable pour assurer l’acceptation globale et limiter les risques business. Au sein des conseils d’administration, pour les postes critiques, il existe des personnes dédiées aux plans de succession », affirme Bénédicte Tilloy.
Documenter pour assurer la transmission du capital culturel
Le processus de départ doit être bien rodé : « Il faut élaborer à un “succession plan” explicite impliquant une documentation claire pour assurer une prise de relais efficace entre les personnes », explique Céline Méchain. De manière générale, pour limiter la déperdition des savoirs, un système de knowledge management doit être pensé au-delà de l’offboarding : « Chacun·e doit documenter ce qu’il/elle fait : les processus, les projets, les outils… c’est toute la mémoire humaine qu’il faut mettre à jour régulièrement. Particulièrement les métiers solitaires qui ne sont pas en mode projet. » Cette discipline est clé pour la survie de l’entreprise. « 80 % du savoir est bloqué dans la tête des gens. C’est inefficace d’attendre leur départ pour récupérer les connaissances ! L’enjeu est de rendre accessible au collectif toute la matière vivante de l’entreprise », corrobore Bénédicte Tilloy. Or, la mise à jour d’une documentation reste très fastidieuse : « Il faut alléger les processus de documentation et de transmission afin de faire émerger les savoirs implicites de l’entreprise. Ask for the Moon par exemple est une start-up qui a développé un outil permettant de questionner les personnes et, via une intelligence artificielle (reconnaissance sémantique), de les mettre en contact avec les profils de personnes éligibles pour répondre à leurs problématiques. Résultat : l’entreprise constitue sa bibliothèque vivante des savoirs et fait circuler les expertises, quasi naturellement. »
Cette liste n’est pas exhaustive : les impacts des départs sont également limités par un profond travail de transformation de l’organisation, du management, du package RH et des processus… En filigrane, l’enjeu est de travailler sur les leviers de l’engagement et de la fidélisation.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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