Pouvez-vous imposer des congés payés à vos salariés ?
13 juil. 2022
7min
Entre égalité de traitement, contraintes business et cadre légal, la mise en place et l’anticipation des congés payés s’avèrent parfois complexes. D’ailleurs, pouvez-vous imposer des dates à vos salariés ? On vous éclaire !
En pratique, votre pouvoir de direction en tant qu’employeur vous permet d’imposer des congés payés. Sous réserve, bien sûr, de vous conformer aux règles légales et conventionnelles. Mais l’organisation des départs en vacances de vos salariés s’articule autour de bien d’autres enjeux. Que dit la réglementation ? Comment faciliter le processus sans brimer vos collaborateurs ni créer de frictions ? Quel degré de flexibilité accorder afin de ne pas ternir votre marque employeur ni nuire à l’engagement des équipes ?
Congés payés : l’employeur a (presque) toujours le dernier mot
Les obligations légales en matière de congés payés
En CDI ou en CDD, tout salarié cumule à hauteur de 2,5 jours de congés payés (CP) par mois (jours ouvrables). L’acquisition des jours de congés se fait selon une période de référence entre le 1er juin et le 31 mai. « Les congés doivent être pris : cela relève de l’obligation de santé et de sécurité qu’a l’employeur vis-à-vis des salariés de veiller à leur droit au repos. Ils doivent les avoir pris le 31 mai de l’année suivante (N+2) au risque de les perdre, » explique Nathalie Cerqueira, avocate et partner chez Bersay. Avant de chercher à imposer des congés payés à ses collaborateurs, l’entreprise doit donc communiquer avec eux pour les encourager à les prendre. Les dates sont figées au moins un mois avant le départ des salariés en vacances. À noter que ce délai peut être plus court si un accord d’entreprise, d’établissement, de branche ou une convention collective le prévoit.
En outre, depuis le 22 avril 2024, les périodes d’arrêt de travail sont considérées comme du temps de travail effectif (article L3141-5l). Un salarié en arrêt pour motif non professionnel acquiert 2 jours de congés par mois, soit 24 jours par an. Au cours du mois de sa reprise, l’employeur est tenu de l’informer du nombre de congés dont il dispose et du délai sous lequel les poser. Cette loi, dont la rétroactivité est limitée à 3 ans, introduit aussi une période de report de 15 mois pour utiliser les congés cumulés durant l’arrêt maladie. De même, la charge et l’organisation du travail ne doivent pas être un frein. En ce sens, les managers ont un rôle clé à jouer pour piloter et faciliter la planification des congés.
Dates de congés : quel cadre pour les salariés ?
L’employeur ne peut pas imposer à un salarié de prendre 5 semaines de congés payés d’un seul coup. Le code du travail limite en effet la durée d’un congé à 24 jours ouvrables, soit l’équivalent de 4 semaines de congés payés. Or, chaque salarié doit prendre « au moins 2 semaines consécutives pendant la période estivale, à savoir du 1er mai au 31 octobre », souligne Nathalie Cerqueira. L’employeur est libre d’accepter ou refuser les demandes formulées par les salariés.
Néanmoins, il doit respecter des règles pour organiser la prise de congés dans les meilleures conditions : information auprès des équipes, ordre de départ, période de prise de congés, délai de prévenance, prise de congés simultanée pour les couples mariés ou pacsés… « Une fois que les dates sont figées, l’employeur ne peut plus revenir dessus et inversement. Le salarié peut faire une demande, mais l’entreprise n’est pas obligée d’y répondre favorablement, » précise Nathalie Cerqueira.
L’employeur reste décisionnaire sur les congés payés
Pour établir sereinement et collectivement les congés de tous, le principe est celui de l’accord entre le salarié et l’employeur. « Généralement, à partir de mars, l’entreprise commence à communiquer au sujet des congés estivaux et demande les dates de toutes les équipes. En fonction du planning d’activité et des impératifs business, il y a un arbitrage qui est fait pour éviter d’avoir des semaines dépeuplées, » explique Nathalie Cerqueira.
Au final, un salarié n’est pas totalement libre des dates auxquelles il souhaite partir en vacances. L’employeur peut exercer son pouvoir de direction pour les fixer. Par exemple, si l’entreprise ferme durant une période déterminée (fêtes de fin d’année, vacances d’été, etc.), notamment pour des raisons économiques, l’employeur est en droit d’imposer des congés payés. Il lui incombe cependant de consulter au préalable le CSE (Comité social et économique).
Marque employeur : le guide des bonnes pratiques selon votre niveau d’expertise
Tous nos conseils pour une marque employeur réussie !
Congés payés et flexibilité : la formule magique pour attirer et fidéliser les talents ?
Si le cadre des congés payés reste relativement rigide, certaines entreprises prônent la flexibilité pour se différencier afin d’attirer et de fidéliser leurs talents. Est-ce vraiment un levier distinctif en termes de marque employeur ? « Aujourd’hui, il est très mal vu et vécu d’imposer ou de refuser des congés payés à ses collaborateurs… Même quand l’activité nécessite une organisation optimisée et que le refus est justifié, » insiste Florence Marty, ancienne DRH et co-auteure d’un livre sur la marque employeur, Entreprises : 7 leviers pour renforcer votre pouvoir d’attraction. Les raisons invoquées ? Liberté, opportunité de voyage de dernière minute, contraintes familiales… « Les employeurs qui ne jouent pas le jeu de la flexibilité s’exposent à un désengagement qui peut se traduire par des départs précipités. »
Pour expliquer ce phénomène, la théorie des deux facteurs de Frederick Herzberg (HBR, 68), psychologue américain dans les années 50 et professeur de management, est éclairante. Il distingue deux sortes de besoins : ceux qui sont propres à tous les êtres vivants (facteurs d’hygiène) et ceux qui sont particuliers à l’homme (facteurs internes). Les facteurs d’hygiène ne sont pas de véritables sources de motivation, mais simplement de satisfaction. Les besoins d’hygiène, dès qu’ils sont pourvus, réduisent l’insatisfaction et ne sont plus motivants. Par contre, la non satisfaction de ces besoins peut être source de mécontentement et donc de démotivation. Les congés en font partie : gérés ou trop contraignants, ils influencent fortement l’insatisfaction et le mécontentement des salariés. Alors, flexibilité, certes… mais qu’est-ce que cela signifie et dans quelle proportion ? Faut-il basculer vers une politique de congés illimités comme certaines start-ups plutôt qu’imposer des congés payés ? « La première chose en matière de congés est de faire de son mieux pour arranger ses collaborateurs. Puis, de le faire savoir au travers d’une politique claire avec des critères partagés auprès de tous, mais ajustables au cas par cas. En effet, un refus de congés pour un motif discriminant aura davantage de conséquences, notamment légales, » rappelle Florence Marty.
Absence des salariés : pourquoi co-organiser plutôt qu’imposer des congés payés ?
Et si la solution résidait dans une approche assurant bon sens, communication et co-organisation ? C’est ce qu’a mis en place Projective, une agence innovante qui accompagne la transformation spatiale, organisationnelle et digitale des entreprises. Concrètement ? La flexibilité se traduit d’abord par la possibilité de prendre ses congés au fil de l’eau : un salarié n’a pas à attendre la fin de l’année 1 pour les prendre.
Ensuite, l’entreprise n’exige pas la prise d’un certain nombre de jours durant l’été (au-delà du légal). « On n’impose pas la fermeture du “connecteur”, notre bureau, durant l’été ou les ponts. Si les personnes préfèrent travailler, même à distance, car elles souhaitent provisionner des jours, il n’y a pas de souci, » explique Bénédicte Ronzon, associée du collectif.
Cette flexibilité est rendue possible grâce au principe de co-organisation entre salariés. Une politique en phase avec leur culture interne : « Notre fonctionnement repose sur l’autonomie et la responsabilité de chacun : les collaborateurs sont tous responsabilisés, ils co-organisent l’ensemble des aspects d’un projet. Et la gestion des congés en fait partie, » renchérit Bénédicte Ronzon. Néanmoins, pour aider à insuffler une entente et de l’écoute sur le sujet des congés, notamment durant la période estivale, Projective anticipe et donne un premier cadre grâce à un planning rendu global et une communication explicite :
Dès les premières demandes de congés, souvent vers le mois de février, l’équipe dirigeante et RH envoie un email à l’ensemble des salariés pour disposer d’une vision globale des congés par équipe et par projet. « Les personnes ont 15 jours pour me faire part de leurs choix et préférences pour l’été. Cette anticipation permet de satisfaire ceux qui anticipent très en avance, le plus souvent par contrainte (école, crèche, réservations…) et ceux qui sont plus flexibles. »
Pour ce faire, les équipes projets échangent entre elles pour éviter les creux d’activités et organisent ainsi les back-up. L’objectif ? Suivre une courbe d’absences cohérente, notamment sur les projets d’envergure qui exigent un passage de relais impeccable sur les dossiers en cours.
« Grâce à cette vision d’ensemble, nous pouvons à la fois anticiper les impératifs de chacun et les contraintes inhérentes aux projets. » Cette clé de lecture exclut non seulement le fait d’imposer des congés payés, mais surtout la dangereuse politique du « premier arrivé, premier servi. » Et en cas d’absences trop concentrées sur une période, les personnes s’auto-gèrent en prenant en compte les contraintes de leurs collègues, celles des projets ainsi que leurs propres impératifs. « Chez nous, il existe une cohérence d’équipe et de l’entraide. Nous n’avons pas besoin de processus trop rigides car les équipes réfléchissent ensemble à la meilleure configuration pour le collectif?,» souligne Bénédicte Ronzon.
Et si des salariés ne peuvent pas du tout déplacer leurs dates ou veulent partir à des moments pas forcément propices ? « Rien n’est figé. On entre dans du cas par cas. Et pour que cela se passe bien, cela exige de la préparation avec les équipes opérationnelles et une transparence sur les critères de sélection. À savoir, une personne qui est prioritaire une année, ne le sera plus l’année d’après. » Cette démarche fait écho à ce que défend Florence Marty en termes de politique de congés payés : « Avoir des valeurs, mettre en place des grands principes de prise de décision et ensuite, se demander comment répondre à chaque situation particulière. » De quoi améliorer significativement l’expérience collaborateur !
Congés payés en milieu contraint : comment insuffler un brin de souplesse ?
La flexibilité est souvent l’apanage des activités tertiaires. Mais qu’en est-il des usines, du commerce de détail ou des hôpitaux ? En somme, des secteurs où la priorité n’est pas tant d’imposer des congés payés, mais bien de pouvoir en accorder tout en assurant la continuité des activités. Florence Marty, ancienne DRH dans le retail, transmet un exemple de rétroplanning qu’elle a utilisé dans plusieurs structures.
- Première semaine de janvier : lancement du sujet auprès des managers. « Je leur demandais d’établir le planning par service et par semaine, du nombre de personnes dont ils avaient besoin pour l’été. Ils devaient aussi exprimer un premier besoin de recrutement pour la période, ce qui me permettait de faire un budget prévisionnel. »
- Dernière semaine de janvier : les managers communiquent les plannings validés aux équipes. Ensuite, tous les collaborateurs doivent formuler leurs vœux de CP d’ici à la mi-février.
- Début février, les équipes RH étudient les retours et envisagent des solutions adaptées à tous : changement de secteur, alternance de jour de repos pour le travail le samedi…
- Fin février : stabilisation des plannings et affichage des congés de toutes les équipes.
« La première année, la procédure était compliquée à mettre en place. Mais une fois le modèle testé, cela assure de la tranquillité d’esprit pour tout le monde : une marge de manœuvre existe et se joue très en amont pour éviter les frictions », souligne Florence. Et de conclure par cette injonction positive : « Le secret dans les environnements très contraints ? L’anticipation. »
Le monde du travail évolue. Les attentes des actifs également. À l’heure où la santé mentale et la flexibilité émergent comme des enjeux majeurs, une politique de congés transparente et engageante dote votre entreprise d’un véritable avantage concurrentiel !
Article écrit par Laure Girardot, mis à jour par Sandra Dall’Acqua, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
Inspirez-vous davantage sur : Qualité de Vie au Travail
Maîtrisez les enjeux de la qualité de vie au travail ! Tous nos articles dédiés au bien-être professionnel.
Managers : ces signes qu’un salarié est en difficulté (et nos conseils pour agir)
Un collaborateur sur deux est en détresse psychologique. Comment détecter les signaux d'alerte avant qu'il ne soit trop tard ?
19 déc. 2024
7 astuces pour créer un cadre de travail (vraiment) sécurisant pour son équipe
Esprit sain, entreprise saine : le pari de la sécurité psychologique au travail.
05 déc. 2024
Pour que vos employés se sentent spéciaux... faites-leur des cadeaux !
Parce qu'une petite attention vaut parfois mieux qu'un grand discours.
03 déc. 2024
Flexibilité : les horaires décalés sont-ils la meilleure opportunité à privilégier ?
Si le télétravail bat de l'aile, la flexibilité des horaires face au trajet domicile-travail apparaît comme une carte à jouer pour 44 % des actifs.
19 nov. 2024
Demande d’augmentation : pourquoi c'est important de ne pas culpabiliser vos salariés
« Culpabiliser ses salariés en temps de crise, c'est le mauvais calcul à éviter ! »
14 nov. 2024
Inside the jungle : la newsletter des RH
Études, événements, analyses d’experts, solutions… Tous les 15 jours dans votre boîte mail.