Ils ont écouté les mauvais conseils de leurs collègues… et regrettent
14 nov. 2024
5min
Comment savoir si un conseil est bien avisé… ou complètement inapproprié ? Et surtout, à qui peut-on faire confiance au travail ? Dans le monde professionnel, tout repose sur le discernement et le timing. Collègues, supérieurs, chacun y va de son avis, de ses petites astuces pour répondre à nos interrogations. Et si cette pluralité de perspectives enrichit notre quotidien, elle peut aussi devenir source de confusion. Quand certains conseils s’avèrent décisifs, d’autres, mal ciblés, risquent de conduire à l’échec. Sophie, Alice, Léa et Nicolas nous racontent comment un mauvais conseil les a déstabilisés.
Prendre un nouveau poste, c’est toujours un saut dans l’inconnu. Lorsque Sophie débarque dans une agence de communication éditoriale en tant que manager dans l’équipe marketing, elle a une énergie débordante et une multitude d’idées pour révolutionner les process de son équipe. Avec son enthousiasme et son audace, elle compte bien faire entendre sa voix. C’est alors qu’elle se lie à Marc, un vétéran de l’entreprise, qui lui suggère rapidement de calmer le jeu. « Reste discrète au début, observe, et surtout, ne dérange pas trop les habitudes », lui conseille-t-il. Sophie hésite. Son instinct lui dit de faire autrement, mais la sagesse de Marc, ce poids lourd de l’entreprise, la pousse à suivre ses mots. Les semaines passent, les occasions aussi, et l’ambition de la jeune trentenaire se flétrit. Quelques mois plus tard, elle quitte son poste déçue. Encore aujourd’hui, Sophie ne sait pas si Marc lui a suggéré la discrétion par bienveillance ou par prudence. En revanche, elle sait que ce conseil l’a freinée dans son élan, l’empêchant d’exploiter son plein potentiel. Elle en a retiré une leçon : depuis elle refuse de brider son tempérament, même si cela signifie de défier les regards sceptiques.
Malheureusement, les mauvais conseils ne surviennent pas seulement aux moments charnières d’une carrière, comme lors d’une prise de poste. Ils peuvent surgir là où on ne les attend pas et de la part de personnes en qui on a toute confiance. Il y a quelques mois, Léa, graphiste dans une agence de publicité, fait face à un projet un peu délicat : une campagne qui, selon elle, pourrait créer une polémique. Hésitante, elle en parle à sa collègue Clémentine, une amie de longue date dans le métier. Bien que cette dernière ne lui veuille aucun mal, elle lui conseille de ne pas s’aventurer sur ce terrain glissant et de taire son avis. « Tu veux pas qu’on te prenne pour la “jeune woke” du service, si ? », lui dit-elle. Léa prend le conseil à cœur et décide de rester silencieuse, évitant ainsi de soulever des vagues. Mais le projet passe en production sans aucune remise en question, et les retours du public ne se font pas attendre : la campagne est jugée déconnectée des réalités actuelles. Là encore, un conseil donné avec gentillesse a eu un effet malheureux.
Pourquoi nous arrive-t-il de faire confiance à la mauvaise personne ?
Faire confiance, demander de l’aide et accepter de se tromper, c’est naturel. Mais c’est justement là que réside le piège, rappelle Caroline Bia, coach de carrière : « Trop souvent, on suit un conseil parce qu’il vient de quelqu’un qui nous ressemble, quelqu’un en qui on a confiance. Ça semble logique, mais l’empathie peut aussi devenir un piège. » Elle évoque l’influence des personnes proches, celles avec qui l’on partage des affinités, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. « Nous avons tendance à écouter ceux qui partagent nos valeurs et nos préoccupations. Mais parfois, il faut savoir prendre du recul et remettre en question les paroles des personnes les plus proches de nous. »
En effet, tout conseil est le fruit d’une expérience personnelle, d’une vision du monde, souvent teintée de nos peurs ou de nos incompréhensions. Cela devient d’autant plus vrai lorsque la hiérarchie entre en jeu. « Face à une personne occupant un poste à responsabilité, on est souvent tenté de suivre ses conseils sans les remettre en question, simplement parce qu’elle incarne l’autorité et l’expérience », explique la spécialiste. Pourtant, cette hiérarchie, loin d’être une garantie de vérité, peut aussi renforcer l’effet de sujétion, étouffant notre propre voix intérieure. C’est justement ce qui a failli arriver à Nicolas, informaticien. En juin dernier, un directeur lui a conseillé de former les nouveaux arrivants sur un matériel très sensible. « Je lui ai dit que c’était trop spécifique pour être couvert par une formation non officielle, et il m’a répondu que je me trouvais des excuses, ajoutant que si les nouveaux salariés utilisaient ce logiciel sans être formés, ce serait de ma faute. » Nicolas a failli céder. Juste avant de se lancer, il en informe finalement ses supérieurs directs, qui lui déconseillent fermement de s’en charger.
« Avant de suivre aveuglément un conseil, prenez donc le temps d’en analyser les implications pour vous-même, pour votre parcours et pour votre personnalité », suggère Caroline Bia. Pour éviter de se tromper, la spécialiste recommande d’abord une phase d’observation : « Quand on est nouveau, on ne sait pas à qui se fier. Il vaut mieux prendre le temps de comprendre les dynamiques avant de s’engager, quitte à s’appuyer sur des parrains et marraines expérimentés. » Selon elle, l’objectif n’est pas de rechercher une vérité absolue, mais bien de créer un espace de réflexion et de confrontation des idées. Un travail essentiel pour éviter de suivre des conseils qui ne nous correspondent pas réellement.
Faire davantage confiance à son intuition
Se tourner systématiquement vers les autres pour leur demander des conseils, cela peut indiquer un certain manque de confiance en soi. Quand on doute de ses capacités, surtout au début de sa carrière ou lors d’un changement de poste, il devient difficile d’écouter cette petite voix intérieure qui nous guide. Alors, on se tourne vers les autres, les plus expérimentés, persuadé que leurs conseils sont des raccourcis vers la réussite. Cela peut être le cas, et recueillir plusieurs avis est une démarche sécurisante. Mais attention à ne pas non plus chercher des solutions toutes faites à l’extérieur. On oublie que la véritable sagesse réside souvent dans notre propre intuition. Apprendre à s’écouter soi-même et prendre du recul sur les avis que peuvent nous donner les autres, reste finalement le meilleur rempart contre les mauvais conseils.
Prenons l’exemple d’Alice, une jeune chargée de projet dans une start-up de la tech. Quand elle arrive dans son entreprise, on lui conseille de « ne surtout pas perdre de temps à poser trop de questions au client », sous prétexte qu’« il faut s’affirmer comme l’experte. » Ce conseil, bien intentionné, la trouble : elle sent bien qu’elle préfère s’assurer de chaque détail pour livrer un projet à la hauteur des attentes. Après des semaines de tâtonnements, elle décide finalement d’écouter son instinct et prend le temps d’échanger avec ses clients. À sa grande surprise, ce choix lui vaut non seulement des compliments, mais aussi la satisfaction de voir ses projets validés plus vite. Car au fond, il ne s’agit pas seulement de suivre les conseils des autres aveuglément ou de les ignorer, mais de les écouter, prendre du recul, et trouver son propre équilibre. Cette confiance en soi, à force d’erreurs et d’essais, finit par grandir comme une flamme que rien ne vient éteindre.
Pour Caroline Bia, la clé est de « pratiquer, de se lancer, car c’est en expérimentant qu’on apprend à s’appuyer sur son propre jugement. Cela n’enlève pas toutes les peurs de prendre une mauvaise décision, mais personne n’en est mort. Petit à petit, en se faisant confiance, on a de moins en moins besoin de demander des conseils. »
L’expérience de Sophie, Léa, Alice et Nicolas nous rappelle que dans le monde professionnel, il est essentiel de faire preuve d’un peu plus de recul, de prendre le temps de se questionner sur les intentions et le contexte des conseils reçus. Les meilleurs conseils ne sont pas forcément ceux qu’on nous donne, mais ceux qu’on est prêt à construire en écoutant à la fois notre intuition et l’expérience des autres. Entre prudence et audace, c’est en trouvant ce juste équilibre que l’on se protège des conseils malavisés et que l’on façonne, pas à pas, une carrière à notre image.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photo par Thomas Decamps
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