Alerte fortes chaleurs : quelles dispositions doit prendre votre entreprise ?
25 juil. 2022
5min
Avocate en droit du travail, spécialiste en défense des salarié·es et négociation de départ des cadres dirigeants
Journaliste freelance
Alors que la France connaît une vague de fortes chaleurs et que dans la plupart des villes, les thermomètres affichent des températures au-dessus de 30 degrés, se poser la question de la sécurité des salariés est essentielle… Pourtant, au niveau de la loi, les dispositions spécifiques concernant le travail en pleine canicule se font bien rares. Mais à quoi sont tenues les entreprises en la matière ? Quelles initiatives existent ? Quelles solutions pourraient être mises en place ? On fait le point !
Mal de tête, chaises qui collent, atmosphère étouffante… Nous sommes nombreux dans l’Hexagone, à traverser des journées difficiles au travail où, bien souvent, l’extrême chaleur draine l’énergie et empêche de se concentrer. Dans ces conditions difficiles, que peut-on attendre de son employeur ?
Canicule : que dit la loi ?
Pour l’avocate en droit du travail et experte du LAB Welcome to the Jungle Élise Fabing il n’y a pas de doute : « L’employeur est créancier, c’est-à-dire qu’il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la sécurité et la santé de ses salariés. C’est spécifié dans l’article L. 4121-1 du code du travail. » Dans un contexte de fortes chaleurs pouvant nuire au bien-être des équipes, ce dernier doit s’assurer notamment de la bonne aération des locaux, mettre à disposition de l’eau potable fraîche et informer les salariés sur les risques potentiels – malaises vagal, cardiaques et déshydratation, dans ce cas précis. Dans son dépliant Travail et chaleurs d’été, l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) recommande elle aussi d’adapter le rythme de travail, de fournir des aires de repos et un accès à l’eau.
« Cela va un peu plus loin dans le secteur du bâtiment par exemple, où il est spécifié qu’en cas de vigilance rouge par Météo France, trois litres d’eau par jour doivent être fournis aux travailleurs, qu’ils doivent pouvoir bénéficier d’un local préservant leur santé et leur sécurité et porter des protections individuelles compatibles avec les fortes chaleurs », précise Élise Fabing. « Le reste se négocie plutôt dans le cadre des conventions collectives, selon les secteurs… Elles peuvent instaurer, pour certaines, des pauses supplémentaires, du télétravail ou encore une adaptation des horaires. La seule chose que la loi énonce très clairement, c’est l’obligation pour l’employeur d’évaluer les risques. En cas de faillite, l’inspection du travail pour être mobilisée pour venir constater les faits et les activités risquent alors d’être suspendues », note l’avocate. Mais qu’en est-il dans la pratique ?
Les initiatives déjà en place dans les entreprises
Certaines entreprises, malgré des textes pas forcément très contraignants, ont choisi de s’adapter aux réalités climatiques et proposent déjà des solutions à leurs salariés. C’est par exemple le cas du groupe Veolia, qui dispose d’une procédure spécifique de santé-sécurité instaurant un processus précis lors des vagues de chaleur. Les personnes travaillant dans le recyclage et le traitement des déchets ont droit, par exemple, à des tenues spécifiques, à un “point causerie” pour informer sur les risques potentiels liés aux canicules et même à des horaires aménagés - commencer plus tôt le matin pour éviter les heures les plus chaudes par exemple - en accord avec les conventions collectives.
Les livreurs, quant à eux, sont particulièrement concernés puisqu’ils se déplacent tout au long de la journée à vélo, quelle que soit la température ! Deliveroo affirme envoyer systématiquement un mail, avec pour mission de donner certaines consignes de bon sens : faire des pauses régulières, s’habiller légèrement, pédaler à l’ombre le plus possible ou encore s’hydrater très fréquemment. Des consignes d’auto-vigilance donc. Du côté de Frichti, autre plateforme de livraison, ce sont des bouteilles d’eau fraîches qui sont mises à disposition à chaque commande récupérée.
Quels recours pour les salariés en cas de manquement au droit ?
La circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993 stipule que tout danger imminent, susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché, peut justifier d’un droit de retrait du salarié. « Autrement dit, le salarié a toujours le droit de cesser son activité sur-le-champ si le contexte dans lequel il se trouve présente un risque pour sa vie ou pour sa santé », détaille Élise Fabing. « Dans ce cas de figure, même s’il n’y a aucune obligation, je conseille toujours d’alerter l’employeur de la situation le plus tôt possible, et par écrit ! Le risque du droit de retrait, c’est de s’exposer à une retenue sur salaire s’il est assimilé à un abandon de poste… Seul le juge pourra déterminer du bien-fondé de cette décision. En revanche, aucune mesure de ce type ne peut être prise à l’encontre du salarié s’il existe un motif raisonnable », poursuit-elle.
Et pour cause : en 2009, la Cour de cassation avait validé le droit de retrait d’un couvreur refusant de poursuivre son travail après 5 heures sur un chantier, en raison des risques que la chaleur faisait courir à sa santé. « Cette décision fait jurisprudence aujourd’hui. En effet, lorsque l’employeur est alerté du danger mais ne prend aucune mesure, il peut être considéré comme ayant commis une faute inexcusable. Il s’expose alors, s’il a contesté un droit de retrait, à la nullité du licenciement, à la réintégration de plein droit du salarié et au rattrapage des salaires non versés », précise Elise Fabing. Dans les faits, si le salarié craint pour sa santé, il doit alerter son employeur le plus rapidement possible par écrit – un SMS peut suffire, c’est le droit d’alerte. Sans réaction de la part de son employeur, il est en droit de rentrer chez lui.
Quelles évolutions possibles à l’avenir ?
Dans le contexte du réchauffement climatique, ces vagues de chaleur risquent de devenir monnaie courante dans les périodes estivales. Selon Météo France, les canicules devraient doubler d’ici à 2050… Et en fin de siècle, elles pourraient non seulement être plus fréquentes, mais aussi nettement plus longues. « Je pense que les évolutions sont nécessaires, et qu’elles devraient advenir dans le cadre de négociations à l’intérieur de l’entreprise… Moins de lois, mais plus de textes issus de discussions collectives et des accords de branche. Les canicules vont forcément être prises en compte avec plus de sérieux à l’avenir », pointe l’avocate. « Toutefois, les chaleurs extrêmes sont déjà validées comme motifs légitimes de potentiels droits de retrait et l’employeur a une obligation vis-à-vis des salariés. Mais il est vrai que les contours restent flous… La question de la climatisation est délicate par exemple, on ne saurait la rendre obligatoire avec le problème qu’elle pose pour l’environnement, en raison des gaz à effet de serre qu’elle rejette et qui augmentent le réchauffement climatique… ! »
L’une des pistes les plus efficaces pourrait être celle du décalage des horaires, avec des heures d’arrivée et de départ différées, pour diminuer le temps passé dans les transports et travailler aux moments les plus frais de la journée. Une décision déjà prise en Belgique par exemple, où les plannings ont été aménagés pour certains métiers exposés à la chaleur. Les entreprises pourraient en profiter pour être à disposition de leurs clients plus longtemps. Mais cela nécessiterait bien sûr de revoir la culture du présentéisme, déjà pas mal chamboulée par la crise sanitaire. De cette dernière, beaucoup ont d’ailleurs appris cette leçon : c’est dans l’urgence que les mentalités évoluent le plus vite. Et une chose est sûre : le réchauffement climatique est une urgence…
Article édité par Manuel Avenel
Photo par Thomas Decamps
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