« L'incompétence de mon collègue nuit gravement à mon boulot » : comment gérer ?

21 févr. 2023

8min

« L'incompétence de mon collègue nuit gravement à mon boulot » : comment gérer ?
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

contributeur.e

Double ration de taf, frustration, perte de motivation… Travailler avec un collègue que l’on estime incompétent peut avoir de nombreuses répercussions sur notre propre vie professionnelle. Mais qu’entend-on exactement par incompétence et comment gérer cette situation ?

Quand on imagine un professionnel aguerri, on présume des formations, une qualification et la maîtrise de compétences. Parfois technique, cet attirail renvoie à un savoir-faire acquis, une aptitude à réaliser certaines missions spécifiques. Du pilote de ligne qui connaît sur le bout des doigts le fonctionnement de son appareil, au mixologue qui sait par cœur les dosages du Long Island (5x 1,5 cl - Téquila Gin Vodka Rhum Cointreau…), ces compétences ne s’improvisent pas. On les développe tout au long de notre vie professionnelle. Pour autant, il nous est tous arrivé de trouver qu’un·e collègue manquait de savoirs pratiques le rendant mauvais dans son job, voire complètement bidon. Mais l’incompétence ne se résume pas à ces technicités…

On pourrait définir l’incompétence comme l’absence ou le manque de compétences, qu’elles soient des compétences métiers (hard skills) mais aussi des savoir-être (soft skills). Et comme pour les cocktails, tout est une question de dosage. « Un salarié peut par exemple compenser une incompétence métier par des savoir-être, du relationnel. Mais le contraire existe aussi. Certains salariés peuvent être désagréables, voire odieux, même s’ils sont compétents techniquement », relève Isabelle Barth, professeur en management. Et quelle situation serait la plus nuisible : se retrouver avec un collègue qui n’est pas autonome dans son travail, manque de rigueur ou de débrouillardise, ou avec un collègue qui ne travaille pas bien, mais qui est du reste met une bonne ambiance ? Difficile de répondre tant la frontière peut-être ténue.

Perte de temps, démotivation… Les conséquences de ce manque de compétences sur notre vie pro

Depuis plusieurs mois, Camille fait les frais de cette incompétence dans son quotidien pro. Alors que l’agence de communication pour laquelle elle travaille connaît une période de croissance, de nouveaux visages font leur apparition pour soutenir cet essor. Parmi eux, un candidat se distingue pour occuper le poste de journaliste reporter d’image. « Pendant l’entretien, il nous a fait une très bonne impression à la fois sur les compétences et sur le profil » se remémore-t-elle. Mais très vite, celui qui incarnait la recrue idéale, se révèle être peu habile pour les missions qui lui sont confiées. « On s’est rendu compte que les vidéos qu’il ramenait de ses tournages étaient floues ou pas droites, et sur certaines d’entre elles, le micro n’a même pas été activé… ». Disposant d’une caméra neuve et de bonne facture, le journaliste prétexte un défaut de matériel et préfèrer les captures réalisées sur smartphone. L’agence accède à sa requête, mais le résultat ne se fait pourtant pas sentir. « La première vidéo qui en est sortie n’était toujours pas droite et le cadre tremblait alors qu’un stabilisateur est intégré à l’appareil. Même avec un excellent matériel, qu’il a de surcroît demandé, la prise d’image n’était pas bonne » constate Camille dépitée.

Et pour cause, travailler avec un collègue incompétent peut provoquer une certaine démotivation au travail, surtout quand s’additionne aux lacunes techniques un manque de volonté pour progresser. Face à une tel comportement, nous adoptons généralement - contre notre gré - deux types d’attitudes :

  • La compensation : c’est-à-dire qu’on travaille plus pour neutraliser les manquements de notre collègue. Elle requiert de l’énergie et du temps, elle est source d’erreurs et de frustration. Ce surengagement peut conduire au burn-out ou une perte d’estime de soi.

  • Le désengagement causé par un sentiment d’injustice : « On peut se dire, “je suis compétent, j’en fais deux fois plus pour compenser et je me retrouve au même niveau que ce collègue. Alors j’arrête de m’investir car après tout pourquoi moi je travaillerais plus ?” », illustre Isabelle Barth.

Une incompétence toujours réelle et malintentionnée ?

« Veiller à un sentiment d’équité entre collègue repose surtout sur les épaules de celui qui a créé l’équipe, autrement dit, le manager », pose Alexandre Dubarry, docteur en psychologie. Néanmoins, le manager n’est pas forcément au quotidien avec le collaborateur pour constater la situation et cela peut lui échapper. « Il y a aussi des falsificateurs, manipulateurs, qui font en sorte de porter les victoires mais qui ne travaillent pas à leur conquête et manipulent la perception », ajoute le spécialiste. Alors que peut-on faire à son échelle, en tant que salarié ? Dans un premier temps, il faut faire preuve de discernement dans cette situation en commençant par se demander si l’incompétence de votre collègue est avérée et sur quoi elle repose.

Est-ce de l’incompétence perçue ou réelle ?

« Est-ce que mon ressenti correspond à l’objectivité de la situation ? » Lorsque l’on soupçonne de l’incompétence de la part d’un collègue, c’est la première question à se poser pour Isabelle Barth. On peut très bien ne pas comprendre le rôle ou l’apport d’un collègue et le taxer facilement d’incompétence. « Par exemple, il peut y avoir un difficile dialogue entre le marketing et la finance au sein d’une même entreprise. On ne comprend pas toujours ce que fait l’autre. Mais pour prendre l’image d’un match de foot, une entreprise n’a pas besoin que de personnes qui marquent des buts, elle a aussi besoin de personnes qui savent passer la balle, c’est l’intelligence collective. » Parfois, un simple manque de communication peut suffire pour nous faire croire qu’un collègue est incompétent alors que nous ne connaissons pas forcément les périmètres de son poste ni ses enjeux pros. Après tout, ne sommes-nous pas tous l’incompétent d’un autre ?

Cette incompétence est-elle volontaire ou inconsciente ?

« L’incompétence peut être ignorée par la personne en question. C’est souvent dû à des formes d’insouciance ou de grande confiance en soi. C’est un comportement que semble adopter Trump par exemple », constate Isabelle Barth. Elles déploient également bien souvent des stratégies de camouflage qui leur permettent de rester en place malgré tout et de s’inscrire dans la durée dans leur entreprises « Il peut s’agir d’une complicité sur la conformité : la personne est conforme, loyale, hyper sympa, ce qui fait qu’elle va être maintenue contre vents et marées alors qu’en effet, elle est incompétente ». La deuxième stratégie de camouflage consiste à jouer sur des technicités. Comme un défaut de matériel par exemple… « Le salarié va créer des usines à gaz, multiplier les réunions, déployer toute une couverture, un masque d’invisibilité de son incompétence, qui peut durer longtemps et poser problème », poursuit la professeur en management.

Un constat fait par Camille vis-à-vis de son collègue qui botte en touche régulièrement. « Il ne prend qu’une partie des remarques qu’on lui fait et surtout, ce n’est jamais de sa faute. » À cela s’ajoute une forme de mauvaise foi et de dénigrement. « Lorsqu’on fait les choses à sa place, il ne se prive pas de nous faire des remarques négatives. »

Identifier les causes de l’incompétence

Vous pouvez aussi vous demander quelle est l’origine de cette inaptitude à tenir son poste de travail chez votre collègue. On distingue plusieurs cas de figure :

Des compétences rendues obsolètes dans un contexte précis

Par exemple, la personne a été recrutée pour une mission, mais l’entreprise a depuis muté, une nouvelle orientation a été décidée et d’autres compétences que les siennes sont désormais recherchées. Celles que possède ce salarié deviennent obsolètes dans la nouvelle stratégie.

Une erreur de casting lors du recrutement

Par exemple, un salarié est recruté sur des zones de compétences qu’il ne possède pas. « L’incompétence renvoie souvent à l’incompétence, explique Isabelle Barth. Celle du recruteur qui pour de bonnes ou mauvaises raisons n’a pas su repérer un salarié qui manquait de compétences. »

Une faille dans l’organisation

Et si ce n’était pas votre collègue l’incompétent, mais votre manager ? Une mauvaise répartition du travail, un cadre ou des règles de travail mal posées ou une mauvaise formation peuvent aussi être à la base d’un dysfonctionnement global.

Le temps de la confrontation

Une fois cette phase d’observation et d’analyse passée, vous pouvez tenter le face à face avec votre collègue.

1. Aborder le sujet sans vous énerver

Discuter du sujet avec le collègue en question et le mettre face à ses erreurs peut provoquer chez lui un déclic ou un électrochoc. Tout en développant la CNV (communication non violente), pour mettre les choses à plat, lui expliquer ce qui ne va pas et quels sont vos besoins avec une forme de diplomatie et de bienveillance. Ne dite pas « Tu es incompétent », mais tentez plutôt « Moi je dépends de toi sur certaines choses que tu n’as pas faites et cela me met en difficulté pour mener à bien mon travail », propose le docteur en psychologie. Ou encore « J’ai remarqué que tu avais des difficultés à me rendre tes dossiers et cela me bloque dans l’accomplissement de mon propre travail. Es-tu à l’aise avec tes missions ? »

« Dans tous les cas, il faut réussir à lui parler de manière franche. Que cela soit volontaire ou non de sa part, vous n’êtes pas d’accord avec cette mauvaise répartition du travail qui pèse sur vos épaules et vous voulez que votre collègue en prenne conscience. Car son incompétence ou son absence de volonté, fait peser sur vous une charge qui vous incombe et qui n’est pas normale », précise Alexandre Dubarry.

2. Se poser la question « est-ce que c’est remédiable ? »

« Ce collègue a été embauché, mais le poste ne lui correspond pas, peut-on le former ? » interroge Isabelle Barth. Si vous avez la volonté de faire d’un bourricot un cheval de course, il serait bon de savoir si votre collègue a lui aussi la même volonté. « C’est essentiel pour constater que la personne a véritablement du potentiel et si elle est volontaire pour se former », analyse Alexandre Dubarry. Mais cela implique que le DRH ou le manager fasse le même constat que vous.

Une méthode adoptée par Camille et son équipe qui, durant les quatre premiers mois de contrat de son collègue, font preuve de tolérance, mais surtout d’écoute. Après avoir accédé à la requête de matériel, des points sont fixés avec la direction, pour proposer des formations au journaliste et même l’idée d’un changement de poste moins axé sur la réalisation est évoquée. « Il nous a demandé de pouvoir accéder à des formations mais pour couvrir des pré requis qu’il nous avait dit posséder au moment de l’entretien. Il voulait notamment suivre une formation de trois jours pour apprendre les bases pour filmer… au smartphone. Il s’est vraiment foutu de nous… »

3. Mettre au jour les incompétences de votre collègue auprès de votre hiérarchie

Prendre le taureau par les cornes et exposer la situation est parfois le seul recours possible. D’autant que l’inaction peut installer un « engourdissement culturel” (les autres individus acceptent et incorporent ces comportements déviants, par la simple inaction) », préviennent Angela Sutan, professeur en économie comportementale et Ludivine Martin, chercheur au LISER dans un article.

Mais c’est aussi prendre le risque de passer pour le méchant qui fait de la délation. Cela nécessite donc un certain courage, prévient Isabelle Barth. « Dans le monde de l’entreprise, il peut y avoir une complicité passive qui fait qu’on a du mal à dénoncer des comportements qui sont déviants. On l’observe dans le cas du harcèlement ou la discrimination et on le voit aussi avec l’incompétence. » Objectiver la situation auprès de votre manager peut aussi permettre à ce dernier de redistribuer la charge de travail de manière plus équilibrée et de trouver des solutions. Vous pouvez par exemple lui signaler que votre collègue Jean-Michel, malgré sa bonne humeur, met beaucoup de temps à rendre ses dossiers et qu’il fait souvent des erreurs. Lui faire part des lacunes que vous avez observées et l’orienter sur les points sur lesquels il gagnerait à être formé. Et si la situation dure depuis quelque temps, lui dire que c’est inconfortable pour vous pour toutes les raisons évoquées.

Si en revanche, Jean-Michel est un fin stratège qui maquille habilement son incompétence et dupe même votre boss, vous pouvez en dernier recours monter un dossier pour démontrer par A + B votre théorie. L’idée est que votre collègue ne puisse plus se réfugier derrière ses ruses. Peu importe la manière employée (forte ou douce), « il faut pouvoir dire à son manager : voilà ce qu’on a constaté, c’est imparable. À partir de là, c’est l’opportunité pour le manager de reposer un cadre », précise Alexandre Dubarry.

Après l’avoir confronté sur le matériel et les formations, lors d’un ultime point avec la direction, c’est dos au mur, que le vidéaste et collègue de Camille a ainsi révélé qu’il n’était pas vraiment compétent pour son poste et n’avait jamais à proprement parlé tourné de vidéos. « Il avait sciemment menti pendant l’entretien. Mais même si on l’a remarqué assez tôt, on s’est dit qu’on allait l’accompagner. Sauf qu’au bout d’un moment, la direction lui a dit que ça ne pourrait pas continuer et il a préféré fuir. On ne l’a pas revu depuis plusieurs jours » déplore-t-elle. En cas de mauvaise volonté, difficile de remédier à l’incompétence d’un collègue.

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps