Le leadership n’appartient-il qu’aux big boss ?
02 mai 2023
4min
« Leadership » est un anglicisme qui signifie « fonction, position du leader ». Alors, a priori, on l’imagine cantonné au sommet de l’organisation. Mais à l’heure des organigrammes aplatis, le leadership n'aurait-il pas vocation à se démocratiser ? Et si oui, sous quelles conditions ?
Manager et leader… pas le même combat !
Pendant longtemps, on a confondu management et leadership… à raison ? En réalité, il s’agit de deux notions bien distinctes, qui vont nous permettre de comprendre pourquoi nous pouvons tous, à notre niveau, faire preuve de leadership. Si l’on reprend l’étymologie du mot management, il s’agit à l’origine d’un terme équestre signifiant « tenir un cheval en main pour le faire marcher au trot ». « Le management est un terme issu de la dernière révolution industrielle, sur le modèle Command and Control », précise Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert des nouvelles gouvernances.
De son côté, le leadership vient du mot « leader » en anglais, soit le chef désigné par ses pairs. Il existe de nombreuses définitions du leadership, mais s’il fallait en retenir une selon Betsy Parayil-Pezard, CEO de Connection Leadership et experte en transformation des entreprises, ce serait celle-ci : « La capacité à communiquer et rassembler des personnes autour d’une vision, et à tracer le chemin pour aller vers ce futur. » Pour résumer, Luc Bretones nous explique que le management se positionne en surplomb, quand le leadership se pose en support. Or, on peut supporter une équipe… sans en avoir la responsabilité hiérarchique !
Vers une décentralisation du leadership
Pour nos deux experts, avoir du leadership n’impose donc pas d’occuper une position managériale. C’est d’ailleurs la vision qui prévaut dans les entreprises libérées à l’image d’Alan. « Chez nous, tout ce qui compte c’est l’impact que l’on a, pas le nombre de personnes que l’on manage. D’ailleurs, nous avons une grille spécifique qui permet à chacun de comprendre comment faire grandir son impact au sein de l’organisation », affirme Maxime Le Bras, Talent Lead chez l’entreprise d’assurance santé. Preuve qu’il ne s’agit pas que de paroles en l’air, un contributeur individuel peut être mieux payé au sein de la structure qu’une personne qui leade une équipe, parce qu’il/elle a beaucoup d’impact sur la performance de l’organisation.
Une manière de penser qui va dans le sens de l’Histoire selon nos trois interlocuteurs. « Les individus aspirent à plus d’autonomie, terme derrière lequel je mets celui de responsabilité, et qui touche donc au leadership », poursuit Maxime Le Bras. Il analyse d’ailleurs le phénomène à la lueur de l’explosion du freelancing qui démontre ce désir d’impact sur les organisations, sans pour autant occuper de position hiérarchique.
De son côté, Luc Bretones ajoute que la complexité du monde actuel impose cette décentralisation du leadership : « Plus les collaborateurs développent leur propre leadership, plus ils sont capables de résoudre eux-mêmes les problèmes. » Et cela n’est pas sans conséquences sur la prise de décisions : celle-ci est grandement facilitée. C’est ainsi que Reed Hastings, l’ex-patron de Netflix, se félicitait de ne pas avoir pris de décision pendant 3 mois, car ses collaborateurs - suffisamment autonomes et responsables - étaient amplement en mesure de le faire. Chez Alan, la distribution de « l’ownership » permet aussi de prendre des décisions plus rapidement, comme l’expliquait il y a peu son CEO dans un post sur LinkedIn.
Des dirigeants dépossédés de leur leadership ?
Mais si demain, tout le monde peut faire preuve de leadership, que reste-t-il aux chefs ? Et surtout, tous les managers en sont-ils dotés ? La réponse à cette dernière question est malheureusement négative selon Betsy Parayil-Pezard. Nombre de managers sont inconscients des émotions générées dans leur équipe, incapables de créer de la cohésion entre les collaborateurs, ou encore de transmettre l’énergie humaine nécessaire à l’avancement des projets.
Pourtant, il est essentiel que les managers fassent preuve d’encore plus de leadership que les autres afin d’avoir toujours une longueur d’avance. « Les managers doivent se positionner en coach pour faire émerger l’intelligence collective, prendre les bonnes décisions en considérant toutes les options, et parvenir à embarquer celles et ceux qui ne sont pas forcément d’accord », analyse l’experte. En acceptant de décentraliser le leadership, les managers et dirigeants peuvent donc développer une version augmentée d’eux-mêmes.
Alors, comment distribuer le leadership au sein des organisations ?
Puisqu’il n’y a rien à craindre et tout à gagner, dans quelles conditions développer le leadership de ses collaborateurs ? Comment s’assurer qu’un collaborateur n’outrepasse pas ses fonctions, ni ne mette en péril l’organisation ?
1. Jouer collectif
Tout d’abord, « pour que la distribution de la responsabilité fonctionne, il faut penser à l’équipe et non pas à soi », lance Maxime Le Bras. Faire preuve de leadership, ce n’est donc pas la jouer perso et chercher à briller plus que les autres. « C’est avant tout contribuer à la raison d’être de l’équipe pour aider l’entreprise à atteindre les résultats stratégiques », renchérit Luc Bretones.
2. Avoir des règles précises
De plus, il faut bien comprendre que qui dit distribution du leadership, ne dit pas loi de la jungle. C’est d’ailleurs l’inverse dans les organisations à gouvernance partagée. « Plus une entreprise décentralise l’autorité, plus celle-ci doit avoir des règles connues de toutes et tous. Des règles minimalistes mais précises », insiste Luc Bretones.
3. La culture de l’écrit
Pour que ces règles soient bien comprises de toutes et tous, la culture de l’écrit peut être un levier très intéressant. Chez Alan, elle assure la transparence de l’information. « Cela permet à chaque employé d’accéder à des informations stratégiques s’il le souhaite. De plus, l’écrit évite les jeux politiques et les comportements égocentrés », soutient le Talent Lead.
4. Avoir des garde-fous
Éviter les comportements auto-centrés passe aussi par des « garde-fous » au sein de l’organisation, sans pour autant verser dans le management classique stricto sensu. Chez Alan, l’organigramme - très aplati - se compose d’un area lead (qui donne la vision stratégique sur un scope assez large), un community lead (qui va donner les standards en termes d’expertise métier), et un crew lead (qui va gérer une petite équipe). De ce fait, le travail de chaque collaborateur demeure monitoré même s’il n’y a pas forcément de lien de subordination.
5. Faire circuler la responsabilité
Pour que chaque individu grandisse sans mettre en péril le collectif, Alan a également opté pour une distribution tournante des responsabilités. Selon les discussions, le Contributor (contributeur), Owner (responsable), et Leader (redevable sur le sujet) peuvent varier. « C’est une manière de percevoir la croissance individuelle d’un employé », explique Maxime Le Bras.
6. S’effacer au profit du groupe
Enfin, déployer son leadership, c’est parfois être capable de se mettre en arrière-plan. Une vision défendue par Betsy Parayil-Pezard : « Faire preuve de leadership, c’est aussi faciliter l’émergence d’une idée, créer une opportunité sans passer sur le devant de la scène, et même savoir simplement suivre et soutenir un autre leader. » Une vision holistique nous permettant de comprendre à quel point le leadership peut être incarné par chacun de nous, peu importe sa place sur l’échiquier.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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