Stress au travail : quand la libido en prend un bon coup

14 sept. 2023

5min

Stress au travail : quand la libido en prend un bon coup
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e

Et si nos journées passées devant un PowerPoint étaient en train de tuer à petit feu… notre libido ? En effet, tout ce que l’on vit au travail a le pouvoir d’affecter notre vie personnelle, jusqu’à parfois s’immiscer sous nos draps pour perturber notre désir sexuel. Pour mieux le préserver, la psychanalyste et sexologue Eve Monnet nous aide à décrypter ce mécanisme anti-bagatelle.

« Quand je bosse sur une grosse production, j’ai une vie monacale. Je suis tellement focus sur le flux d’infos que je dois traiter, les couacs quotidiens, le staff à canaliser sur le tournage… qu’il m’est tout bonnement impossible de m’adonner au sexe. Et si je me lance, je suis assaillie par des pensées parasites liées au boulot », confie Adèle*, 34 ans, assistante réalisateur dans le cinéma. Un phénomène qu’elle est loin d’être la seule à expérimenter puisque 66,6% des salariés français verraient leur libido chuter à cause du stress vécu au travail d’après une étude du cabinet Technologia publiée en 2012. Un fait confirmé par la psychanalyste et sexologue Eve Monnet, qui voit défiler quotidiennement dans son cabinet des actifs en proie à cette même diminution du désir sexuel : « Le travail peut effectivement avoir un impact sur la libido, mais c’est surtout le stress et la fatigue qu’il engendre qui en sont responsables. La perte d’énergie et/ ou les angoisses qu’il génère ne favorisent pas le désir sexuel. » Voire le désir tout court. Car la libido n’est pas seulement sexuelle, « c’est le désir au sens large : l’énergie de vie, ce qui fait que l’on a envie de manger, de voir des amis ou d’avoir une relation sexuelle », précise la sexologue.

Tous concernés

Le dysfonctionnement de la libido est un trouble du désir qui n’épargne aucune profession : « Ce n’est pas l’apanage des cadres. À tout âge, n’importe quel salarié soumis au stress au travail ou qui expérimente une situation de mal-être à cause d’un job peu épanouissant peut voir sa libido baisser. Tout comme un statut précaire (intérim, CDD), peut générer de l’anxiété qui va se répercuter dans la vie intime », détaille notre experte.

Un trouble qu’on retrouve tout de même plus fortement chez certains corps de métiers particulièrement exposés au stress tels que les forces de l’ordre, les pompiers, le GIGN… « Les métiers où l’on subit un stress extrême en intervention d’urgence avec une grande décharge d’adrénaline peuvent accroître le problème car tous les muscles corporels sont sollicités. » Quand la personne rentre chez elle, elle est alors vidée de son énergie et n’a plus de tonus musculaire suffisant pour s’adonner à l’acte sexuel.

Enfin, si les hommes et les femmes peuvent être touchés par une perte ou une diminution de libido à cause du travail de la même manière, leur réponse physiologique sera cependant différente : « Chez l’homme cela peut se manifester par des troubles de l’érection ou de l’éjaculation prématurée. Chez la femme, des difficultés de lubrification, des douleurs liées à la pénétration ou des difficultées à atteindre l’orgasme », précise Eve Monnet.

C’est grave docteur ?

Promotion, changement de job, projet important à boucler… à l’échelle d’une vie de travailleur, il est probable que nous soyons tous et toutes un jour sujet à cette diminution du désir sexuel. Rien de grave en soi, tant que cela se cantonne à des épisodes périodiques. La situation devient en revanche préoccupante, si le trouble perdure dans le temps. Car le dysfonctionnement de la libido peut devenir chronique alerte la sexologue : « Si on prend le cas d’un homme qui a des difficultés de désir, il va s’ajouter une angoisse supplémentaire à l’idée d’éprouver des difficultés d’érection lors de son prochain rapport sexuel et cela va le pousser à refuser de passer à l’acte. Il entre alors dans un cercle vicieux d’angoisses liées au sexe. » De la même façon, une femme qui ressent des difficultées de lubribifciation peut craindre la pénétration et tendre vers un vaginisme (contraction involontaire des muscles du plancher pelvien qui empêche toute pénétration vaginale, ndlr).

« Même si mon travail est cyclique (je travaille de façon intense sur des tournages, puis je suis en pause pendant plusieurs semaines), ne pas être en mesure d’avoir des relations sexuelles pendant un mois, parfois deux, nuit gravement à ma vie amoureuse, constate Adèle non sans amertume. Résultat, je suis mère célibataire, ma sexualité est en berne et mon moral en patit. » Si l’appétit vient en mangeant, il en va de même pour le sexe : moins on le pratique moins on a de libido, ce qui peut dégrader notre vie affective. « L’enjeu est alors de ne pas laisser la situation s’installer, car à terme, la perte du désir peut déséquilibrer l’harmonie de l’être, du couple, voire induire un syndrome dépressif », met en garde la psychanalyste.

L’envie d’avoir envie

« Sous tension permanente au travail et avec deux enfants en bas âge à la maison, autant dire que faire l’amour avec mon partenaire était la dernière de mes priorités, confie Jessy*, commerciale de 36 ans. Une traversée du désert qui a pris fin quand j’ai démissionné. D’une semaine à l’autre, tout a changé : je me suis reconnectée à mon corps, j’ai regagné du tonus, du désir… En fait, je n’ai jamais autant fait l’amour que pendant ma période de chômage ! » La jeune femme explique qu’avant son retour de flamme sexuelle, elle dirigait toute son énergie et sa créativité vers ses projets pro et rentrait chez elle les batteries vides. De plus, à son grand désarroi, la pression éprouvée au travail l’empêchait de lâcher prise et donc d’atteindre l’orgasme.

Rien d’étonnant pour la sexologue Eve Monnet pour qui « nos vies actuelles nous mettent sous la pression permanente de donner toujours le meilleur de nous-même. Or il est impossible d’être toujours performant autant au travail que dans la vie personnelle. »

Sa première recommandation pour prendre soin de sa libido est de se « lâcher la grappe » en acceptant de ne pas être performant partout, tout le temps. Dans la même veine, elle conseille également d’essayer de limiter la durée des périodes stressantes au travail, et de prendre du temps pour soi pour s’écouter, se reposer. Pour développer le désir sexuel, il faut arriver à entrer dans une phase de fantasmes et d’images érotisantes, ce qui demande d’être déconnecté des affres de la vie professionnelle, insiste la sexologue.

Enfin, communiquer au sein du couple et consulter un thérapeute peut être nécessaire lorsque la situation fait souffrir. « Les thérapies sexo-fonctionnelles et sexo-corporelles sont très efficaces et peuvent aider à retrouver une sexualité épanouie et harmonieuse », conclut Eve Monnet.

L’effet Loup de Wall Street

Si le stress au boulot a le pouvoir de faire chuter notre appétit sexuel, est-il possible d’imaginer qu’à l’inverse, une période grisante au travail puisse booster notre libido ? C’est ce que semble confirmer l’expérience d’Hugo, entrepreneur de 41 ans : « L’année de la levée de fonds pour la start-up que j’ai cofondée m’a fait connaître des montagnes russes émotionnelles. Je vivais des journées à cent à l’heure, et pour le coup j’avais un désir sexuel décuplé, avec l’envie de faire l’amour plusieurs fois par jour. Ma partenaire d’alors avait du mal à suivre le rythme. » Moins répandu mais bien véridique, une grande excitation au travail peut a contrario provoquer une plus grande libido « qui demande de décharger régulièrement », comme l’explique la sexologue. Ce cas précis étant l’apanage de la gente masculine : « c’est un comportement plutôt masculin à l’instar de ce qu’on peut voir dans le film Le Loup de Wall Street (réalisé par Martin Scorsese, 2013). Certains hommes passent alors à la masturbation plusieurs fois par jour pour pouvoir abaisser la tension musculaire et sexuelle, c’est une autre forme de manifestation du stress. »

Dans un sens comme dans l’autre, le challenge qui se pose à tout salarié est de réussir à faire concorder boulot et libido.

*Les prénoms ont été modifiés.