Les pires fayots au travail : « Il rit à toutes les mauvaises blagues du boss »
17 nov. 2023
6min
Remplir tous ses objectifs pour être reconnu par son manager ? Non. Avoir des réflexions pertinentes en réunion ? Non. Proposer des idées innovantes pour faire évoluer les projets de sa boîte ? Non. Lécher les bottes du boss ? Oui. De l’école primaire au monde de l’entreprise, s’il y a bien une technique efficace pour être sûr de se mettre la figure d’autorité dans la poche, c’est le fayotage. Problème ? Ces profils qui craquent le système grâce à leurs faveurs peuvent vite taper sur celui de leurs collègues…
« Lors du secret santa, elle a offert un cadeau à 150 euros au boss alors que le budget était de 12 euros par personne » Paola, 38 ans, responsable e-commerce
Travailler avec une personne fayote m’a appris une chose essentielle : si notre entreprise n’est pas capable de reconnaître ce que l’on vaut dans le travail, alors il faut lui dire au revoir. Et c’est exactement ce que j’ai fini par faire après qu’une de mes collègues ait choisi cette méthode « d’intégration », me rendant la vie infernale.
Quand une nouvelle recrue américaine rejoint ma team, je manage encore une équipe d’une petite dizaine de personnes dans une entreprise de e-commerce. Elle est très sympathique, pleine de bonne volonté…, mais incompétente. Elle cumule les mauvais résultats, ne sait pas gérer les clients et sa réputation est entachée au point que la direction envisage de la licencier. Malgré tout, je crois en son potentiel et je donne tout pour l’aider à progresser… en vain. Sur le fil du rasoir, la stratégie qu’elle choisit pour conserver son poste est pour le moins inattendue. Alors que l’entreprise change de directeur commercial, elle profite de ce remplacement pour se rapprocher à pas (d’éléphant) du nouveau : à la soirée de Noël, elle pioche son nom lors du secret santa et lui offre un cadeau à 150 euros, alors que nous avions fixé un budget de 12 euros par personne. Un premier gros signal d’alerte, renforcé par le fait qu’elle passe beaucoup de temps dans le bureau dudit manager, à rigoler et à être aux petits soins avec lui.
Là où ça ne me fait plus rire, c’est qu’en plus de le coller et de le flatter, elle commence à nous rabaisser, notre équipe et moi-même, devant lui. Alors que ses résultats restent catastrophiques, elle raconte au directeur que tout est de notre faute, qu’on essaye de la saboter, alors que c’est tout l’inverse. La hiérarchie commence à remettre MES compétences en question, à tel point qu’on me retire son management, ce qui sape mon autorité et ma légitimité. C’est vraiment le monde à l’envers : elle est considérée comme une sainte alors que c’est un gouffre financier, et de mon côté, je dois justifier ma position alors que je me tue pour cette entreprise depuis des années et que je n’ai plus rien à prouver. Je nourris une nouvelle rage envers ma hiérarchie. Alors pour éviter que ma confiance en moi ne se dégrade, je décide de partir. Je n’ai jamais regretté cette décision.
« Il passe 15 minutes tous les matins dans le bureau du directeur à se marrer avec lui… » Pierre, 29 ans, account manager
En 2017, je suis ingénieur d’affaires dans une entreprise de consulting et j’arrive dans l’entreprise en même temps que mon manager. C’est sa première expérience, mais il se montre déjà très confiant en expliquant à notre équipe qu’il aime la jouer « très politique ». Concrètement, il veut se mettre la hiérarchie dans la poche. Et si entre être politique et fayot, la limite est fine, il est facile de comprendre de quel côté il se place. Dans le travail, il va systématiquement dans le sens de la direction (« Oh, c’est une idée exceptionnelle Charles ! »), quitte à prendre des décisions en défaveur de notre équipe. En plus de ça, il se rappelle des moindres détails de la vie privée de son manager. Si ce dernier lui confie que sa fille fait des compétitions de vélo, il se documente et le lance sur une discussion d’une demi heure sur le cyclisme. Une fois, il offre au boss un maillot de rugby qu’il a trouvé en brocante car « il s’est souvenu que son fils adorait le rugby ». Enfin, chaque matin, il passe au moins quinze minutes dans le bureau du directeur à se marrer. Résultat : il se croit tout permis dans l’entreprise, peut dire absolument ce qu’il veut, passer des coups de gueule en toute impunité… C’est le chouchou des superviseurs, et cela attise même des frustrations chez des collaborateurs plus anciens qui ne bénéficient pas du même traitement.
Ce qui est encore plus troublant, c’est que son fayotage est totalement assumé. Et quand nous lui reprochons de ne jamais défendre son équipe, il nous dit ouvertement et très égoïstement que, d’après son expérience, « être politique » est la seule manière d’obtenir ce que l’on veut en entreprise et de booster sa carrière. Je ne tolère pas son comportement, mais dans le fond, je pense qu’il n’a pas 100% tort. Car à cette époque, je suis un peu rebelle au travail. J’ai beau avoir de très bons résultats, mon étiquette d’employé qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui monte au créneau et qui demande toujours plus à la hiérarchie m’est très souvent reprochée. Depuis, j’ai accumulé d’autres expériences professionnelles et j’essaye de me montrer un peu plus lisse, d’être plus politique, et je suis convaincu que c’est le juste milieu à trouver.
« Notre responsable peut lui dire les trucs les plus débiles de la Terre, on l’entendra rire depuis l’autre bout du bureau » Louise, 35 ans, chargée de marketing
Parfois, dans la vie, une seule personne suffit à briser vos rêves. Et c’est exactement ce qu’il se passe pour moi actuellement. Alors que j’occupe LE poste fait pour moi dans le secteur du coaching, une de mes collègues me rend la vie impossible. Pourtant, quand je rejoins l’entreprise il y a trois ans, rien ne laissait présager que je finirais pas ne plus la supporter : on a à peu près le même âge, elle est accro au boulot et travaille dans cette entreprise depuis des années. Tout se passe bien, même si j’apprends assez rapidement que d’anciens collègues sont partis à cause d’elle. Au début, je ne comprends pas vraiment pourquoi. Jusqu’à ce que de petits gestes commencent à la trahir et confirmer la théorie. Cette collègue a en fait deux visages : devant le responsable, elle est mielleuse, rigole à gorge déployée à ses blagues idiotes et se montre solidaire avec notre équipe en nous proposant de nous aider dans nos missions. Mais une fois que le boss n’est plus dans la pièce, elle ne fout plus rien, pire encore, elle souffle dès qu’on lui demande un coup de main… Qu’il faille appeler un client pour gérer une crise ou envoyer des devis, elle se vante de m’aider auprès du boss, quand dans les faits, elle ne bouge pas un doigt. La rumeur dit qu’elle fait partie du cercle d’amis de ce fameux manager. Visiblement, partager des barbecues tous les week-ends avec quelqu’un, vous lie envers et contre tout, puisque ce statut de privilégiée l’a rendue intouchable.
Au bout de quelques mois, la situation commence à me peser et les injustices me rongent. Je décide d’en parler à mon manager… qui la protège toujours : « Mais tu sais elle est comme ça, c’est à toi de t’adapter à elle et de mieux gérer tes émotions. » Chaque jour, je vais au travail la boule au ventre rien qu’à l’idée de me dire que je vais devoir gérer des milliers de clients et ravaler ma colère, le tout pour un salaire très moyen. Si seulement je pouvais dire à mon N+1 : « Regarde ce que tu as vraiment en face de toi, enlève tes œillères… » ! On a beau se moquer gentiment des fayots, certains peuvent pourtant nous rendre la vie infernale au travail et c’est une grande source de souffrance.
« Prise à son propre jeu, elle est destituée au bout de deux semaines » Manuel, 31 ans, journaliste
Mon histoire se passe en trois temps : il y a l’ascension, la destitution et la rédemption. La scène se passe dans une chaîne de fast-food dans laquelle je bosse à mi-temps alors que je suis encore étudiant. Comme dans beaucoup de structures du genre, une poignée de salariés est là pour se faire un peu d’argent à côté de ses études et l’autre, plus établie, cherche à monter dans la hiérarchie. Chacun a un équipement qui distingue son grade : il y a les équipiers avec leur polo gris cendre et les managers en chemise blanche. Parmi les équipes, certains convoîtent plus le col blanc que d’autres. Cette collègue en fait partie. Alors qu’elle nous rejoint à plein temps, elle montre dès ses débuts ses efforts pour se rapprocher du manager. Elle rigole à ses blagues, passe des plombes dans son bureau, et fait des confidences… Ça jase derrière le comptoir du restaurant et on commence même à suspecter une liaison entre ces deux-là, mais nous réalisons rapidement qu’il n’en est rien. La principale concernée ayant une copine, il ne reste qu’une seule théorie : elle fayote. Pire, elle moucharde. Je m’explique.
En tant qu’employé du fast-food, nous n’avons techniquement pas le droit de prendre les invendus. Dans la réalité, beaucoup d’entre nous emportons un burger avant de fermer boutique, avec l’accord du manager. Et cette collègue ne fait pas exception. Quand un jour, toute l’équipe se fait engueuler pour avoir pris de la nourriture sans autorisation, les regards se tournent tous vers elle. Traîtrise.
Sa petite stratégie semble fonctionner puisqu’un beau jour, elle se pointe au restaurant, fière comme un bar-tabac, en chemise blanche. Là voilà gradée. Et sans surprise, sa performance n’est pas brillante, puisqu’elle nous parle comme à des chiens. Les équipes se plaignent de ce népotisme à la direction qui n’agira que lorsque le boss découvre qu’elle aussi repart avec les invendus sans demander l’autorisation. Prise à son propre jeu, elle est destituée au bout de deux semaines. Hop, tu renfiles ton polo gris.
Si ce retour de karma est assez jouissif à observer dans un premier temps, ça me fait un peu de peine de la voir se faire toute petite. Ça me fait penser à ces nobles qui ont tout perdu pendant la révolution française. Alors comme j’ai une bonne âme, je lui tends la main et découvre… qu’elle est plutôt cool en fait ! Avec le recul, je me dis qu’elle voulait certainement gravir les échelons rapidement, mais qu’elle n’a pas choisi la bonne manière de le faire. Ah, les erreurs de jeunesse !
Article édité par Romane Ganneval ; Photos par Thomas Decamps.
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