Au travail, les hommes ne doivent ni être petits, doux ou… « papa poule »
26 juin 2023
4min
Si les chiffres du sexisme ordinaire dans les bureaux français continuent d’augmenter, et que les femmes sont les principales victimes des injustices systémiques liées à leur sexe, il semblerait que beaucoup d’hommes subissent eux aussi la pression patriarcale et ses critères de “réussite” discriminants. Trop ci, pas assez ça, on passe en revue les critères masculins encore mal jugés au travail.
La petite taille
Si chez les femmes, la grande taille peut porter préjudice, pour les hommes, c’est d’être petit qui semble poser problème. Réel facteur discriminant, cette caractéristique physique aurait un impact réel sur leurs carrières. En effet, selon une étude de la western university de 2011, un homme de petite taille aurait plus de chance d’être recalé d’un processus de recrutement qu’un grand, à compétences égales. Plus parlant encore, deux professeurs d’université américains ont décelé un lien entre la taille et le salaire : en moyenne, un homme de 30 cm de plus que son collègue gagnerait 600 euros de plus par an. Cela s’expliquerait par un écart hiérarchique, puisque les collaborateurs « seraient plus enclins à choisir des hommes grands comme leaders ». Comme dans le règne animal, nous explique le journaliste et auteur Malcolm Gladwell dans Blink, on associerait le succès, le charisme et même la capacité à protéger à la taille. Ce n’est pas un hasard si la majorité des grands noms et grandes fortunes de ce monde ont une taille au-dessus de la moyenne. Et les chiffres ne font que confirmer ces propos : Malcolm Gladwell a ainsi observé que lors des élections présidentielles américaines, le vainqueur était le plus grand des deux candidats dans 58% des cas. Si dans la politique cela semble être un choix inconscient, dans certains corps de métiers, il existe encore des critères de taille : un homme de moins d’1m55 ne peut, par exemple, pas s’engager dans l’armée. Dans le sport également, c’est encore largement limitant. Théo, footballeur américain professionnel, mesure 1m65, et a entendu plus d’une fois des remarques désobligeantes sur sa taille : « Les entraîneurs m’ont dit toute ma vie que j’étais trop petit pour devenir pro. J’ai dû travailler plus dur que tous les autres pour prouver ma légitimité. Au final j’y suis arrivé, mais je continue parfois à recevoir des remarques discriminantes sur le terrain. »
Le manque de virilité
Si en entreprise, les hommes grands sont plus facilement désignés comme leaders pour leur « charisme » et leur « capacité à protéger », c’est aussi associé à l’idée que les hommes doivent être virils. Comme l’expliquait Christophe Falcoz dans Virilité et accès aux postes de pouvoir, en 2004, la virilité est un outil de pouvoir : « c’est l’un des principes de domination les plus étendus et les plus prégnants de notre modernité ». Et ce pouvoir est autant exercé sur les femmes que sur les autres hommes. S’il existe autant d’expression de sa masculinité qu’il existe d’hommes, le monde de l’entreprise est encore très fermé à l’image d’un homme montrant de l’empathie ou de la sensibilité : caractéristiques qui seront à l’inverse, souvent recherchées chez les femmes, et considérées comme « féminines ». Selon l’auteur et psychopraticien, la virilité en entreprise se traduirait par le statut hiérarchique, la capacité à « encaisser » des émotions, à licencier sans broncher ou encore le fait matériel d’avoir une belle voiture ou une (attention les yeux) « belle assistante »… Et ceux que ça ne fait pas rêver seront considérés comme non ambitieux, fragiles, voire subiront des remarques sexistes ou homophobes.
L’investissement dans la vie de famille
Si « maman poule » est un terme affectueux, les papas poules sont bien moins reconnus ou considérés au travail. Un homme qui prend à cœur son rôle de parent et qui consacre du temps à ses enfants, peut en effet être discriminé, du fait de son implication moins importante pour l’entreprise. Dans cet univers, le sur-investissement est encore très largement gage de reconnaissance, et donner du temps à quoi que ce soit d’autre que le travail peut être mal perçu, voire puni. Le modèle de société patriarcal veut que la femme se dévoue à l’éducation des enfants et l’homme à sa carrière, et les stéréotypes ont bon dos. Rien qu’en France, le congé paternité est de 28 jours, tandis que le congé maternité de 8 semaines, ça témoigne d’un gros manque de reconnaissance de la paternité dans le monde du travail. Les hommes qui font le choix de prendre du temps au quotidien pour leurs enfants (qui posent un jour pour accompagner une sortie scolaire ou qui loupent les soirées team building pour aller chercher leurs enfants à l’école) vont alors subir le regard des autres. Comme le confiait à Welcome to the Jungle Myriam Chatot, sociologue spécialiste du sujet, « Plusieurs papas m’ont raconté qu’ils avaient l’impression que lorsqu’ils se présentaient aux autres en tant que pères au foyer, leurs interlocuteurs-trices leurs faisaient ressentir que cela n’avait aucun intérêt ! » Gare alors à ceux qui veulent voir grandir leurs enfants, il faudra passer outre le jugement des collègues.
Le manque d’autorité
On dira d’une femme autoritaire qu’elle est hystérique, mais d’un homme qu’il est respectable, comme nous l’indique une étude américaine du cabinet VitalSmarts. Manager d’une main de fer serait une qualité - encore - appréciée chez les hommes dans la hiérarchie, et faire preuve de sensibilité et de douceur, à l’inverse, leur porterait préjudice. Comme la nageuse Sarah Saint-Michel le décrit dans Le genre et le leadership, « On va féliciter une dirigeante si elle est dans la communication et la bienveillance, et un dirigeant s’il est dans la fermeté et l’autorité, mais s’ils inversent les rôles, ils en seront pénalisés ». Chacun à sa place, les hommes doivent manager dans la force s’ils espèrent être respectés. Même si autorité et bienveillance ne sont pas antinomiques, un manager sera jugé « trop laxiste » ou « manquant de charisme » s’il se présente trop dans la camaraderie.
Être « fort » (et transpirer)
Le patriarcat veut que les hommes soient le sexe fort, et qui dit sexe fort… dit responsabilités physiques. Les hommes à la guerre, anciennement à la mine, et encore aujourd’hui sur les chantiers ou dans les métiers de sécurité et de danger. Si les femmes tentent tant bien que mal de faire leur place dans ces métiers dits « masculins », elles sont encore en large minorité, et sont même dans ces conditions, selon Karine Briard, plus épargnées que les hommes : « Les hommes sont davantage présents dans les métiers les plus soumis à la pénibilité physique, et ils y sont aussi plus confrontés que les femmes exerçant ce type de métier », indique-t-elle dans son ouvrage Femmes et Hommes, l’égalité en question. Évidemment, si les femmes sont protégées, c’est parce qu’on estime qu’elles sont fragiles et qu’elles ont besoin de protection masculine, et elles subissent en large majorité tout le reste de critères de pénibilité de la liste (risques psychosociaux, instabilité, manque de reconnaissance et d’autonomie…), mais le fait est que les hommes gardent la responsabilité de la charge physique comme à l’âge des hommes de cromagnons. Selon l’observatoire de la pénibilité, cette pénibilité physique augmenterait même depuis quelques années : les ouvriers y étaient confrontés à 61% en 2016, contre 57% en 2005. Pire encore, le Journal of Sports Medicine indique que le travail très physique chez les hommes mène à un risque élevé de décès prématuré (18% plus élevé que pour les hommes qui occupent un emploi de bureau). En 2023, on estime encore que les hommes doivent - littéralement - se tuer à la tâche.
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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