RH : 5 techniques pour gérer les « sales cons »
28 août 2020
4min
Rédactrice
Le terme est provocateur. À dessein. Robert Sutton, auteur du best-seller « Objectif zéro sale con » publié en France en 2012, jettait un pavé dans la mare des RH. Une petite décennie plus tard, le pari est réussi. La notion de « sale con » est intégrée dans le logiciel de nombreux recruteurs. Les entreprises identifient mieux le connard, le despote, l’enflure, le harceleur ou la personne nuisible, qui dégrade l’ambiance et altère la performance de l’entreprise. Pourtant, la personnalité toxique s’accroche à ses passe-droits avec un coût financier et émotionnel considérable pour l’entreprise. Le professeur D. Minor de la Harvard Business School a analysé 60 000 cas de salariés répartis sur 11 industries différentes. Sa conclusion est édifiante : un « sale con » anéantit le travail de deux « top talents » de l’entreprise.
Un « sale con » anéantit le travail de deux « top talents » de l’entreprise.
L’enjeu est donc crucial mais le phénomène est plus subtil et moins visible qu’on ne le pense. Arriver en retard tous les jours. Couper systématiquement la parole. Égrener de mauvaises blagues. Ces comportements d’apparence anodine asphyxient silencieusement des services entiers. Il y a aussi les cas plus graves où le/la collaborateur/collaboratrice toxique opère discrètement en se focalisant sur une seule proie. Si la victime traverse une période de fragilité, c’est encore mieux. Intimidations verbales et non-verbales, humiliations publiques, plaintes continuelles, manipulation, etc. La destruction méticuleuse peut commencer.
« Ma nouvelle chef de groupe souhaitait (secrètement) recruter d’autres types de profils pour sa nouvelle équipe. Dès son arrivée, elle a copieusement augmenté ma charge de travail et m’a assigné une assistante très junior. Elle me dénigrait constamment et m’accablait de reproches sur le travail en retard. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Je restais jusqu’à 20h chaque soir pour refaire, revoir ou recommencer. Le vigile finissait chaque soir par me mettre gentiment dehors. J’ai fini par ne plus dormir. Puis, je suis tombée en dépression et j’ai été hospitalisée. J’ai démissionné et la nouvelle chef de groupe a installé son équipe sans encombre. J’ai appris plus tard qu’elle était déjà connue ailleurs pour des faits similaires… »
Gabrielle, 34 ans, chef de produit sénior pour une marque de prêt-à-porter.
Alors comment prévenir ?
Technique 1 : L’enquête
Il ne s’agit pas d’intégrer le FBI, mais presque ! Charlotte Stapf, ancienne chasseuse de tête à Paris et psychothérapeute à Sydney, insiste : « Il faut appeler le réseau du candidat, se renseigner sur son caractère et son comportement dans différentes situations. Ne vous cantonnez pas aux références données. Soyez à l’écoute des signaux faibles, de votre intuition, des bruits de couloir. Élargissez votre recherche si vous avez des doutes. Attention au syndrome « Kiss up, Kick down » (flatteur avec les supérieurs, odieux avec les équipes) : il faut toujours contacter des personnes d’un niveau hiérarchique inférieur pour vérifier. »
Le test d’intelligence émotionnel doit être un incontournable en cas de doute.
Technique 2 : Dire non
Faute de souffre-douleur, le « sale con » peut retrouver un comportement correct. «Il faut une victime consentante pour écouter les plaintes continuelles d’un collègue », souligne Claire, DRH au siège d’un grand groupe d’assurances. Elle rapporte l’histoire d’un jeune manager sous pression : « Il appelait 4 fois à la suite, envoyait des emails et des What’s App nuit et jour à son assistant ». Encouragé et rassuré par la DRH, l’assistant réussit à poser ses limites et à ne plus tolérer les emails en cascades à 22h.
Technique 3 : Le coaching
On ne naît pas sale con ! On le devient dans un moment ou un contexte particulier : charge de travail inadaptée, période de vie difficile, etc. Tentez de comprendre ce qui cause ce comportement. Cherchez ensemble une solution.
Il est parfois nécessaire de travailler sur le relationnel et le fonctionnement « du sale con » à l’aide d’une personne tierce et neutre. Quelques séances de coaching peuvent changer la perception de soi et des autres et par conséquent améliorer le comportement du « sale con ». Cloé Leblanc, coach et formatrice, témoigne : «Je reçois un salarié envoyé par une DRH. Imbuvable, il détenait toujours la vérité, sa vérité. En identifiant ses moteurs et ses comportements sous stress, il a peu à peu pris conscience de son comportement nocif. Ses points de vue sont devenus moins tranchés. Ses collègues lui ont même demandé s’il prenait des anxiolytiques… »
- Lire aussi notre Ebook :
Recrutement : la fin du règne des diplômes ?
Pourquoi et comment leur toute puissance est contestée dans la course aux talents.
Technique 4 : Limiter leur zone de nuisance
Si « le sale con » demeure imperméable à toute remarque, plusieurs options permettent de limiter son pouvoir de nuisance :
- Réduisez son périmètre d’action (nombre de zones géographiques, nombre de projets, nombre de collaborateurs, etc.)
- Diminuer les écarts de salaires trop importants qui lui donnent un sentiment de puissance.
- Ne le laissez pas recruter seul (ils se recrutent entre eux !)
- Réduisez les distances physiques (changement de projets, télétravail, bureaux différents, etc.)
À ne pas faire : attention au syndrome de « la patate chaude » ! On ne limite pas la nuisance d’un « sale con » en se le refilant de service en service, de filiale en filiale. Sarah, qui travaille dans une équipe marketing dans un grand groupe de luxe raconte : « Ma boss est directrice CRM. C’est une personne irascible, au ton cassant, quasi-dictatoriale, qui se laisse déborder par ses émotions. Dans le groupe, une culture dite « de la bienveillance » prévaut…au point d’éviter tout conflit. Elle a été promue de New York à Londres en passant par Paris… C’est un phénomène récurrent ici, qui crée de profondes tensions et des sentiments d’injustice légitimes. »
Technique 5 : Documenter et sanctionner
On ne change pas un individu toxique conscient de son pouvoir et des dégâts qu’il cause. La seule solution, malheureusement, est d’avoir le courage managérial de s’en séparer, même s’il est compétent. Le code du travail met à la charge de l’employeur l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Le DRH doit par conséquent prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement moral.
- Diligentez une enquête afin de vérifier que les faits rapportés sont réels et bien imputables à la personne mise en cause.
- Évaluer : On vous rapporte qu’un manager d’équipe est harcelant. Pour lever un doute sans esclandre, réalisez un 360° avec tous les managers d’équipe. Cela vous permet d’être discret et de ne pas incriminer la personne directement. L’évaluation devrait vous fournir un bon premier indice.
- Écoutez, synthétisez les remarques. Aidez le harcelé à rassembler des preuves écrites. À l’issue de l’enquête, si le harcèlement moral est documenté, le DRH doit prendre des mesures pour faire cesser les agissements et sanctionner l’auteur des faits de harcèlement. La sanction peut aller jusqu’au prononcé d’un licenciement pour faute grave.
À vérifier ! Suis-je un « sale con » ?
Maxime Rovère, philosophe et auteur du livre « Que faire des cons ? », suggère que lorsque nous attribuons l’étiquette peu flatteuse de « con », nous en devenons un nous-même car nous cessons d’essayer de comprendre la situation et de faire preuve d’empathie.
De la même manière, votre entreprise n’est-elle pas d’une certaine façon coupable ? Ne favorise-t-elle pas « les sales cons » ? L’écoute, l’entraide, le droit à l’erreur sont-elles des valeurs incarnées dans votre entreprise ? Le « sale con » ne peut pas prospérer s’il n’est toléré à aucun échelon de l’entreprise.
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