Pendant les vacances, faut-il « obliger » vos salariés à déconnecter ?

05 juil. 2023

4min

Pendant les vacances, faut-il « obliger » vos salariés à déconnecter ?
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Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

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En dépit du stress et de la fatigue, un nombre constant de salariés français travaillent pendant leurs congés. Au point que certaines entreprises ont adopté des mesures coercitives pour dissuader leurs collaborateurs de céder aux fameuses tracances. Mais est-ce la « bonne » méthode et jusqu’où faut-il aller pour accompagner ses équipes dans leur droit à la déconnexion ? Réponse de notre experte Laetitia Vitaud.

Malgré le « droit à la déconnexion » imaginé en France en 2017 et un besoin de repos ressenti comme urgent par une majorité de travailleurs, près de 7 Français sur 10 consultent leurs emails en vacances et répondent au téléphone si l’appel reçu est de nature professionnelle. Chaque année, ce chiffre augmente à mesure que nos usages numériques (et les écrans qui les soutiennent) envahissent un peu plus nos vies et brouillent davantage les sphères professionnelle et personnelle, transformant de fait nos vacances en « tracances » (contraction de travail et vacances, ndlr).

Si certains salariés y trouvent leur compte, en passant davantage de temps loin du bureau dans des conditions de travail plus flexibles, nombreux sont ceux à reconnaître que la pratique dégrade sérieusement la qualité du repos permis par les vacances. L’augmentation constante du nombre de salariés touchés par le burn-out en est l’une des conséquences les plus tragiques. Alourdis par la charge communicationnelle du travail, même à la plage, les actifs en tracances demeurent parfois dans un état de stress qui les empêche de renouveler pleinement leurs capacités cognitives et physiques.

Quelques entreprises, soucieuses de préserver la déconnexion de leurs salariés en vacances, prennent les devants. Pour un repos de qualité, certaines mettent en place une charte claire, d’autres suppriment les emails de leurs salariés pendant leur absence, voire adoptent des mesures coercitives pour décourager toute confusion. Faut-il forcément en arriver là me direz-vous, en adoptant des mesures pour « forcer » les gens au repos ? Peut-être…

Déconnexion : responsabilité individuelle ou devoir collectif ?

Le droit théorique à la déconnexion se heurte rapidement à la réalité de la communication dans un environnement de travail donné. En la matière, la responsabilité individuelle est toute relative. Certes, la personnalité des individus joue un rôle — certains sont plus accros à leur smartphone que d’autres, mais ce n’est pas principalement un sujet individuel. C’est d’abord une question culturelle, collective : les messages et usages communicationnels concernent nos relations avec les managers, collègues, clients ou prestataires… et on ne communique pas seul !

Si la culture de l’organisation incite à être « always on » comme disent les Américains, aucune volonté individuelle n’y fera rien. Plâne le risque d’être perçu comme un mauvais professionnel si vous déviez de la culture dominante. Il existe une asymétrie entre les individus : quand on a un lien de subordination avec son employeur, on dépend de ce dernier. Le message d’une personne qui a du pouvoir sur votre vie est fondamentalement plus stressant que celui d’une personne qui ne peut pas freiner l’avancement de votre carrière. Vous vous sentez « obligé » de lui répondre le plus vite possible. C’est pour cela que l’exemple managérial est si puissant : les managers impriment la culture communicationnelle et les attentes implicites en matière de temps de réponse. Ils autorisent explicitement, mais aussi implicitement par leur exemple, la déconnexion dans leur équipe.

Mais les managers ne peuvent pas tout. Dans certains secteurs ou activités où les clients attendent un service réactif et rapide, on se sent « obligé » vis-à-vis d’eux. Ne pas répondre, c’est prendre le risque de les perdre ! C’est pourquoi de nombreux entrepreneurs et travailleurs indépendants emportent habituellement une partie de leur travail en vacances. Pour une partie des consultants ou des avocats d’affaires, par exemple, on juge la qualité du service à la réactivité du prestataire, quitte à payer parfois un prix plus élevé. Dans ces cas-là, le degré de disponibilité et les limites (congés) doivent faire explicitement partie du contrat.

Jusqu’où va le rôle de l’employeur dans le droit à la déconnexion ?

Vu que les pratiques varient souvent d’une équipe à l’autre, certaines grandes entreprises tentent depuis des années de prendre les devants pour protéger les congés de leurs salariés. Depuis 2014, Daimler, Deutsche Telekom ou Volkswagen en Allemagne suppriment systématiquement les emails reçus par leurs collaborateurs pendant les vacances, afin de leur aménager de vraies plages de déconnexion et éviter le stress de rentrée face à une boîte mail débordante. Les managers sont également empêchés de contacter leurs salariés en vacances.

Le modèle d’organisation est simple et bien connu. On désigne une ou plusieurs personnes responsables des dossiers du vacancier. Concernant les emails, une réponse automatique est paramétrée de manière à indiquer clairement à l’envoyeur les dates de vacances de la personne, le fait que son message sera supprimé et les contacts des personnes responsables en son absence. Ce modèle fonctionne bien dans de nombreuses moyennes et grandes entreprises. D’autres types de mesures coercitives ont été imaginées ailleurs. Récemment, la startup indienne Dream Sports a décidé d’imposer une lourde amende aux employés qui tentent de contacter leurs collègues pendant leurs congés. Bilan ? Vous devez vous acquitter de 100 000 roupies (soit plus de 1 000 euros) si vous avez l’audace d’envoyer un mail !

Cela peut sembler extrême de punir ainsi des salariés qui font leur travail. J’ignore à quel point la sanction est systématique et si des salariés ont effectivement été sanctionnés. Toujours est-il que dans un pays où les congés ne sont pas une institution protégée par le droit, ce type d’annonce a le mérite d’offrir une contre-culture pour sacraliser l’importance du repos. Cette entreprise a fait parler d’elle grâce à un double message : chez nous, vous aurez des vacances (ce que de nombreuses entreprises concurrentes n’offrent pas) et ces vacances seront respectées.

Quid de la flexibilité et de la liberté des salariés ?

Pour beaucoup de gens, la flexibilité accrue du travail et le fait de pouvoir travailler à distance est un gain net de liberté. Pouvoir faire ses courses hors des heures de pointe, chercher ses enfants à l’école l’après-midi ou attendre une livraison chez soi sans avoir à demander la permission de son manager, c’est un avantage que l’on paye volontiers en se montrant plus réactif dans ses mails et sur les outils de messagerie professionnelle.

Mais cette liberté a des limites. De nombreuses personnes ont un rapport malsain à leur messagerie, entre stress et addiction. Nous sommes prisonniers d’usages numériques de plus en plus délétères. Nous avons peu à peu intégré cette idée qu’il faut être constamment connectés et réactifs. En tant qu’utilisateurs et consommateurs, nous souhaitons tout, tout de suite : achat en 1 clic, livraison en 24 heures, pas de friction, pas de délai. Mais tout cela nous rend épuisés, irrités, malades. Est-ce un hasard si la santé mentale se dégrade tout particulièrement depuis la généralisation des smartphones ? Certes, la corrélation n’est pas causalité et nous manquons peut-être de recul… Mais ne faudrait-il pas adopter un principe de précaution en la matière ?

En « forçant » les salariés à la déconnexion professionnelle, on ne les forcera pas à quitter leurs écrans complètement, mais on enlèvera au moins une source de stress. Peu importe la nature des mesures prises et le degré de coercition, pourvu qu’on permette aux salariés de mieux se reposer. Il serait peut-être temps que nous comprenions que la flexibilité tant vantée a un coût trop élevé… Au repos !

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Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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