4 bonnes raisons de ne pas mettre vos bureaux sur la touche face au télétravail
28 mars 2023
5min
Consultante spécialiste des nouveaux modes d’organisation et de l’aménagement des espaces de travail
Face au contexte économique incertain et à l’attrait pour le télétravail de nombreux collaborateurs, certaines entreprises sont tentées de délaisser leurs espaces de travail. Un moindre investissement qui n’est cependant pas sans conséquence. Notre experte Camille Rabineau vous dévoile 4 bonnes raisons de ne pas tourner le dos à vos bureaux.
Pour tenir la distance dans le monde hybride, certaines entreprises font du bureau une « destination », comme le titrait le récent webinaire de l’association des directeurs de l’environnement de travail. Un endroit si exceptionnel - en comparaison avec le domicile - que le salarié n’aurait qu’une envie : s’y rendre. Depuis l’envolée du télétravail, le bureau affiche en effet ses nouveaux atours, tel un phénix renaissant de ses cendres : espaces collectifs remis à neuf, salles de réunions de haute technologie, décoration léchée… Même les open spaces, tant redoutés, deviennent attrayants avec leurs grands volumes et leur végétation luxuriante.
Ces transformations ne sont pourtant que la face visible d’un iceberg qui en comporte une autre, moins brillante : pour de nombreux employeurs, le bureau semi-désert devient un coût qu’on cherche à rationaliser avant tout. Face à l’incertitude économique qui perdure, aux opérations colossales de rénovation énergétique qui se placent légitimement en haut des priorités, et surtout au constat implacable que les bureaux sont deux fois moins fréquentés qu’hier, certaines entreprises revoient leurs ambitions à la baisse pour ce qui touche au cadre de travail de leurs salariés.
Dans tous les secteurs et quelque soit la taille des structures, quand les bureaux ne s’affichent pas dans les magazines, on tarde à débloquer des moyens pour adapter l’espace de travail aux nouveaux enjeux (ou même tout simplement, pour le maintenir dans un état de salubrité et de modernité satisfaisant). Ainsi, 57 % des dirigeants n’ont pas de projet de réaménagement prévu dans les deux ans qui viennent selon un baromètre CSA-Parella de 2022. Et s’ils prennent le sujet en main, c’est parfois en se lançant dans de périlleuses opérations de réduction des surfaces. Pourtant, à bien des égards, le bureau demeure une condition majeure de bien-être et de productivité pour les salariés, sur laquelle il ne vaut mieux pas, trop vite, tirer un trait. La preuve par 4.
1. Désinvestir du bureau, c’est invisibiliser ceux pour qui il est essentiel
Ils ne sont pas majoritaires mais ils existent : ces salariés qui privilégient le bureau au télétravail, en continuant d’y venir presque tous les jours. Selon une récente étude de la fondation Jean Jaurès, pas moins de 34 % des Français dont le métier est télétravaillable préfèrent encore travailler exclusivement au bureau* Sur le terrain, on s’aperçoit que les profils de ces adeptes sont divers et variés : ce sont ces employés qui jugent que leur confort à domicile n’est pas optimal, ces managers qui souhaitent marquer le terrain auprès de leurs collaborateurs ou encore ceux qui, atteints par l’expérience de la pandémie, ne souhaitent tout simplement pas y avoir recours afin de mieux préserver la frontière avec leur sphère personnelle.
D’ailleurs, les salariés qui privilégient le bureau ne s’y rendent pas uniquement pour collaborer ou sympathiser avec leurs collègues. Selon la récente enquête de JLL menée dans 15 pays, 28 % des salariés trouvent que l’on se concentre mieux au bureau qu’ailleurs, 24 % considèrent que ce dernier est plus favorable à leur bien-être et 35 % s’y rendent pour établir une meilleure séparation entre leur vie privée et le travail. Autant de considérations qui méritent de ne pas être mises sur la touche.
2. Désinvestir du bureau, c’est rogner sur le confort de travail de ses équipes
Le télétravail a fini par convaincre les salariés des métiers de bureau que l’ordinateur portable et le téléphone sont les seules composantes de l’outil de travail. On pourrait ainsi travailler de partout, tout le temps, à condition que le dieu wifi soit bien présent. Les choses ne sont pourtant pas si simples. Force est de constater que pouvoir utiliser des logiciels complexes sur un double voire triple écran, imprimer des documents dans de bonnes conditions, accéder à de la documentation ou à des fournitures spécifiques que l’on partage avec le reste de l’équipe, manipuler des supports imprimés pour en apprécier le rendu ou des objets comme des prototypes sont autant d’exemples de la part de matérialité qui demeure dans les métiers ayant basculé en ligne, et qui, sauf à transformer son chez soi en magasin d’imprimeur ou en showroom, restent l’apanage du bureau.
De plus, lorsqu’ils sont bien aménagés, les bureaux se préoccupent, à juste titre, de nombreuses composantes : prévention des troubles musculo-squelettiques, attention à la qualité de l’air, traitement acoustiques adaptés, apport d’un éclairage naturel… Des critères indispensables au bien-être et à la santé des collaborateurs, auxquels toutes les entreprises ne prêtent pas encore attention quand il s’agit d’aller sur le terrain du domicile des salariés comme l’illustre une étude de la DARES de 2022.
3. Désinvestir du bureau, c’est mettre en péril sa culture d’entreprise
S’il y a une vocation du bureau qui met tout le monde d’accord, c’est celle de tremplin à l’intégration d’une nouvelle recrue dans l’entreprise. D’un côté, les salariés admettent ressentir le besoin de passer du temps dans les locaux à leur arrivée, pour tisser des liens et se sentir appartenir à l’entreprise. De l’autre, les managers rappellent que la présence physique simultanée accélère la transmission des compétences et dope la motivation. De fait, le délitement du lien est l’un des points faibles du travail hybride. Selon le baromètre de la vie au travail de 2022, plus de 30 % des salariés reconnaissent se sentir moins attachés à leur entreprise, ayant moins le sentiment de faire partie du collectif et constatant que la relation avec leurs collègues et hiérarchie est devenue plus fragile depuis que le télétravail est largement en place.
Pour les plus jeunes, encore en formation, c’est potentiellement un vrai manque à gagner que de se retrouver régulièrement livré à soi-même au bureau. Ces premières expériences de vie active étant aussi l’occasion d’acquérir les codes et savoir-être du monde professionnel en général et d’une entreprise en particulier. Investir dans des aménagements qui favorisent les rencontres et échanges informels, tout en véhiculant une atmosphère chaleureuse, devient ainsi un rempart de la culture d’entreprise, véritable levier de fidélisation.
4. Désinvestir du bureau, c’est risquer de rationaliser à l’extrême
Par principe, l’espace de travail doit servir l’activité et se modeler en fonction d’elle. Mais aujourd’hui, c’est souvent l’inverse qui se produit. À travers la réduction drastique des surfaces ou la mise en place d’un flex office draconien (modalité plus sournoise mais pas moins néfaste de désinvestissement dans le bureau), on réorganise le travail de fond en comble, par défaut, pour se plier à la contrainte spatiale. Certes, vouloir rationaliser son empreinte immobilière semble aujourd’hui couler de source. Mais une question demeure : jusqu’où ?
Face à ce bouleversement parfois trop fort des habitudes de travail, les salariés et managers déploient une énergie colossale dans la mise en place de systèmes sophistiqués de coordination, pour pouvoir permettre aux équipes de se retrouver tous ensemble à intervalles réguliers. Sans compter que la perspective alléchante de pouvoir recruter sans avoir à « pousser les murs » peut donner l’idée de mettre en place un simple système de bureaux tournants, sans rien changer à l’espace de travail par ailleurs. Pour éviter ces écueils, opter pour un ratio de partage raisonnable des bureaux quitte à le réduire progressivement, proposer une offre diversifiée d’espaces (salles de réunion, bulles, espaces de pause et de détente…) et accompagner les salariés pour qu’ils se les approprient lors de leurs venues sur site, plutôt que de rester figés sur ce qui ressemble au bureau « d’avant », semblent une meilleure piste.
Si le bureau a encore de beaux jours devant lui, ces derniers ne doivent pas se réduire à une poignée de projets luxueux mais bien au plus grand nombre de lieux de travail possibles. Des lieux certainement sans fioritures mais qui sauront prendre en compte tous les enjeux et besoins des salariés, qu’ils soient nouveaux et tendances, ou plus anciens et basiques.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
Inspirez-vous davantage sur : Camille Rabineau
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