Faut-il protéger vos salariés des (trop nombreuses) sollicitations digitales ?
25 juil. 2023
5min
L'infobésité est l'un des maux professionnels du siècle. Depuis la normalisation du télétravail, les salariés sont derrière leurs écrans, noyés par un flux d’informations et de notifications. Comment préserver leur santé (et leur attention) ?
144, c’est le nombre de courriels que gère un salarié en moyenne, par semaine, selon une étude réalisée par le premier Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN) (mai 2023). « Le terme “infobésité” peut être rattaché à de nombreux concepts, notamment à la charge mentale ou l’hyperconnexion. Nous sommes tous assaillis d’informations via les médias, les messageries, les téléphones, les emails, les visios… Tout ceci contribue à une accélération du rythme de travail et du sentiment d’urgence », souligne Margaux Gelin, responsable pôle recherche et psychologie chez Moodwork.
En effet, les boîtes mails débordent, les visios rythment nos journées et les notifications affluent de manière incontrôlée. Ces sollicitations constantes déstructurent le rythme de travail. Plus de 70 % des employés déclarent interrompre ce qu’ils font lorsqu’une notification apparaît. Selon l’étude de l’OICN, plus de la moitié des emails reçus reçoivent d’ailleurs une réponse en moins d’une heure, et un peu moins de 10 % en moins de 5 minutes .
Résultat ? Une banalisation de la surcharge de travail s’installe doucement, alimentée par une injonction implicite à la connexion permanente : 31 % des salariés sont « hyper-connectés », c’est-à-dire se connectent après 20 heures, plus de 50 soirs sur une année. Est-on en train de basculer vers « l’apocalypse cognitive » pour reprendre le terme employé par le sociologue Gérald Bronner dans son ouvrage éponyme ? L’auteur nous alerte sur la bataille de l’attention alors que jamais dans l’Histoire, l’humanité n’a disposé d’un tel capital attentionnel.
Infobésité : quels risques pour vos salariés ?
L’analyse de l’OICN dénonce les effets délétères des outils collaboratifs introduits durant les confinements pour travailler à distance, qui ont multiplié les canaux d’information et d’échange. « L’information circule très vite via un panel d’outils numériques censés nous simplifier la vie. Or, c’est l’inverse qui se produit : notre attention est complètement captée et cela nous épuise », alerte Margaux Gelin. Le véritable risque provoqué par la pandémie est la pratique abusive de visios. « En présentiel, entre deux réunions, il est possible d’aller souffler, de se déplacer, de prendre un café… À distance, nous enchaînons souvent les visios ou nous les alternons avec des échanges de mails ou sur messagerie instantanée. C’est épuisant pour le cerveau », explique-t-elle.
Le professeur de communication Jeremy Bailenson, fondateur du Stanford Virtual Human Interaction Lab a d’ailleurs publié une étude sur le sujet de la « Zoom Fatigue » dans la revue Technology, Mind, and Behavior de l’American Psychological Association : un épuisement pouvant mener au burn out, qui est lié à l’utilisation croissante de logiciels de visioconférence (tel que Zoom). Ainsi, la surcharge mentale s’installe insidieusement, ce qui n’est pas sans nocivité pour la santé. Notre cerveau a des limites cognitives qui nous invitent, en temps normal, à ne faire qu’une seule activité à la fois.
Or, les flux d’informations vont à l’encontre de notre fonctionnement naturel, induisant des impacts délétères sur l’homme à trois niveaux : « D’abord au niveau cognitif : les capacités de concentration et de mémorisation sont affectées. Émotionnellement, les salariés en surcharge mentale sont plus irritables, provoquant plus de conflits. Puis, au niveau physique, cela accentue les TMS (troubles musculo-squelettiques) car notre cerveau ne traite plus les informations invitant notre corps à se repositionner, à bouger ou à s’étirer. C’est un schéma dangereux qui peut mener au burn out », insiste Margaux Gelin.
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7 actions pour lutter contre l’infobésité au sein de ses équipes
1. Sensibiliser les salariés aux risques d’hyperconnexion
Il existe différents formats alliant formation et information, tels que les conférences qui sont d’ailleurs préconisées dans le cadre de la loi Travail. À compléter avec des formations plus concrètes sur les habitudes de travail et la gestion du stress numérique, comme le propose Moka.care avec Félix, un formateur virtuel qui est incorporé au fil Slack des salariés. Un comble ? Certes, mais c’est plutôt malin pour insuffler des changements naturels dans les comportements individuels.
2. Transformer la culture d’entreprise
Selon Margaux Gelin, il faut cesser de valoriser le multitasking dans le milieu professionnel en (ré)introduisant de nouvelles habitudes de travail plus saines. « Ce changement doit s’opérer au niveau de la culture d’entreprise », explique-t-elle. On peut commencer par co-créer une charte de connexion / déconnexion avec ses salariés, afin d’établir ensemble les modes opératoires et les comportements adéquats en termes d’usages numériques.
3. Miser sur l’exemplarité managériale
Les dirigeants sont particulièrement touchés par le phénomène d’hyperconnexion, avec en moyenne 117 « soirées connectées » par an, toujours selon l’étude de l’OICN. Or, ils et elles ont un rôle pivot pour lutter contre le « stress numérique ». Selon Stefana Broadbent, anthropologue numérique à l’University College de Londres, les pratiques de connexion abusives sont liées avec l’attention que l’on accorde à l’information qui nous parvient et, par conséquent, dépendent de la hiérarchie sociale et des formes de manifestation d’un pouvoir. Dans cette optique, les managers, par leur exemplarité, sont les prescripteurs d’une approche plus raisonnée du numérique.
4. Oser les journées « détox digitale »
Pourquoi ne pas s’inspirer de PriceMinister Rakuten, d’Intel ou encore de Deloitte qui ont instauré des journées sans emails ? Le but est de privilégier la communication de visu et de prendre du recul quant au besoin d’envoyer systématiquement des emails. D’autres entreprises proposent à leurs salariés de remettre leur smartphone avant les réunions ou leur départ en vacances. Comet meeting appelle cela le « garage à téléphones ».
5. Penser aux « nudge » pour impulser le changement doux
La notion de nudge – ou « coup de pouce » en français – est issue de l’économie comportementale et a été théorisée par Richard Thaler et Cass Sunstein. Elle vise à provoquer chez une personne l’adoption d’un comportement plus vertueux et bénéfique. Par exemple, en proposant des alternatives par le jeu ou la suggestion, comme l’application Calldoor qui s’intègre au portable professionnel des salariés afin de les sensibiliser sur leurs habitudes de connexion, en rappelant les règles et les usages de déconnexion propres à l’entreprise. Quant au groupe La Poste, lorsqu’un collaborateur essaie d’envoyer un email le soir ou le week-end, une pop-up apparaît et questionne le salarié sur le caractère urgent de cet envoi et lui propose de différer son email si ce n’est pas impératif.
6. Promulguer de nouvelles habitudes de travail
Individuellement, les personnes n’ont pas la même capacité à prendre du recul face à la masse d’informations reçue. Margaux Gelin propose quelques astuces pour gérer les perturbations numériques : « Il est possible de se créer une corbeille mentale : dès qu’un mail ou qu’une notification arrive, il vaut mieux la noter sur un carnet pour se décharger mentalement afin de pouvoir rester concentré. Plus tard, on y revient pour faire le tri entre ce qui est important et/ou urgent, en référence à la matrice d’Eisenhower. » Il est important de se responsabiliser vis-a-vis des autres en pratiquant l’écologie numérique : « Avant d’envoyer un email, un message, ou d’inviter une personne à une visio ou une réunion, posons-nous la question de l’utilité de cet envoi et des effets qu’il peut produire sur autrui », insiste Margaux Gelin.
7. Tenter le tout pour le tout… via des méthodes coercitives
« Pourquoi pas, mais avec l’accord des salariés en amont et en s’assurant qu’ils vivent bien cette déconnexion forcée. Même si c’est pour leur bien, tout le monde ne peut pas couper de manière radicale », alerte Margaux Gelin. À titre d’exemple, Volkswagen bloque l’accès à ses serveurs le soir et le week-end. Daimler a lancé « Mail on Holiday », un programme permettant aux salariés d’effacer tous les mails reçus durant leurs congés ! L’expéditeur en est informé et reçoit également le nom d’un autre salarié qu’il peut contacter. D’une manière moins radicale, il est aussi possible de limiter le tunnel de visios en paramétrant Teams afin d’espacer le temps entre deux réunions à distance.
Article édité par Mathias Dugas et Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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