Le secret des futurs grands leaders : l'humilité
13 déc. 2019
5min
Rédactrice indépendante.
Alors que le désenchantement du travail et la crise du management sévissent au sein des organisations, une réflexion de fond est nécessaire autour de la nouvelle figure du leadership. Quelques pistes émergent autour de la notion d’humilité. Le « manager humble » serait-il le remède au désengagement ? Quelles pratiques managériales met-on (vraiment) derrière ?
« Le grand leader est d’abord perçu comme un serviteur, et ce simple fait est la clé de sa grandeur ».
Robert K. Greenleaf
« Se mettre au service de » ses équipes ou de l’entreprise, cela exige une grande lucidité quant à ses propres limitations. Mais peut-on faire preuve d’autorité, d’inspiration et emmener ses équipes en arborant ses faiblesses ? Ou tout simplement en étant « humain » ? Difficile à croire à l’heure où le storytelling et les CEOs-gourous exportés de la Silicon Valley inondent nos réseaux sociaux professionnels. Un brin schizophrénique, notre époque tangue entre l’exigence de plus de vérité au sein de l’univers professionnel et le besoin de rêver grâce à des leaders charismatiques prêts à nous emmener sur Mars (littéralement) !
Leader-gourou : la fin d’un mythe ?
Le modèle du CEO de start-up surpuissant et prêt à sauver le monde semble s’essouffler depuis quelques temps. Face à des comportements inappropriés - Travis Kalanick d’Uber accusé de sexisme et de mégalomanie médiatique ou encore Adam Neumann de We Work (We Company), connu pour ses allocutions spirituelles - les investisseurs perdent patience. De forts signaux d’alerte ont été lancés alors que les performances attendues ne sont pas au rendez-vous.
Est-ce (déjà) la chute de la « siliconisation » du leadership ? Quelques indicateurs semblent le démontrer : le turnover de CEOs serait au plus haut aux États-Unis depuis 2002. Sur les 9 premiers mois de 2019, 1160 CEOs américains d’entreprises de plus de 2 ans d’existence et de plus de 10 salariés, ont quitté leur fonction. Soit une hausse de 13 % par rapport à 2018.
Dans la même veine, un article du MIT Technology Review démontre que la (sur)mythification de certains entrepreneurs tels qu’Elon Musk ou Steve Jobs est une erreur de perception. De nombreuses études soulignent que c’est avant tout le contexte historique, culturel, technologique et industriel qui favorise l’émergence de grands génies, et non l’inverse ! Or cette « cristallisation » du leader transformateur se traduit souvent par un manque de considération envers leurs salariés, pourtant contributeurs de leur réussite.
Quelle figure de leadership imaginer pour l’époque actuelle ?
Selon le chercheur Eric Jean Garcia, les typologies de leaders qui ont traversé l’Histoire seraient le reflet de l’évolution de la société et des codes culturels qui la régissent. Ainsi, différents grands discours de leadership ont vu le jour au fil du temps et « coexistent de manières plurielles dans les organisations ».
Au début du siècle dernier, on peut observer le « Leader Contrôleur » inspiré par le mouvement rationaliste scientifique à l’origine de la révolution industrielle. Son credo ? L’efficacité par le contrôle, il est « préoccupé par la maximisation de la productivité qu’il tente de maîtriser par le contrôle systématique du facteur humain ».
Le « Leader Thérapeute » émerge dans les années 40. Sa croyance ? « Un travailleur heureux est toujours plus productif ». Selon Eric Jean Garcia, ces leaders ont une approche humaniste et leur management est axé sur les leviers du bien-être individuel et collectif. C’est une vision encore largement observable aujourd’hui avec l’engouement pour le coaching et la question du bonheur au travail.
Dans les années 80, le « Leader Messianique » répond au besoin de visibilité au sein d’un environnement mondial qualifié de VUCA : Volatile, Incertain (Uncertain), Complexe et Ambigu. Celui-ci est « incarné par un leader visionnaire et charismatique, qui impose une culture d’entreprise si forte qu’elle permet de limiter les niveaux hiérarchiques et le contrôle grâce à la confiance et à la loyauté qu’elle génère ».
Plus récemment, « l’Eco-Leader » est apparu. Dans ses actions, il est imprégné par les « enjeux de la société mondialisée et interconnectée ». Eric Jean Garcia explique que « le préfixe « Eco » fait référence à l’idée selon laquelle le monde fonctionne de plus en plus sous forme d’écosystèmes, interdépendants, aux frontières mobiles qui favorisent un leadership de type latéral ». On se rapproche du management bienveillant et transversal fondé sur la confiance et non plus sur la rigidité des processus.
En 2020, quelle nouvelle forme de leadership se dégage ? Quel leadership est souhaitable pour l’entreprise du XXIe ?
Le management par l’humilité : une piste pour répondre aux attentes actuelles ?
Aujourd’hui, près d’une entreprise sur deux n’est pas satisfaite de ses managers. Cet indicateur est clé car il exprime de nouvelles exigences sociétales : quête de sens, nouveau rapport à l’autorité, démocratie participative, équité, transparence… La nouvelle génération en est devenue le symbole. En effet, 65% d’entre eux estiment que les méthodes de travail traditionnelles (descendantes, pyramidales, rigides) les empêchent de développer leur potentiel.
Pour y remédier, le manager doit se doter des compétences suivantes : l’écoute (54%), le leadership (21%), l’empathie (11%) et l’humanité (11%). Au quotidien, ceci implique plus de transparence, d’empathie et de fragilité. Ceci préfigure l’émergence du « servant leader » popularisé par Robert K. Greenleaf. De même, Thierry Nadisic, expert en innovations managériales, parle de « management juste ». Selon lui, le leader du XXIe « doit considérer ses collaborateurs comme des partenaires ». Il doit apporter du soutien émotionnel, être à l’écoute et les traiter avec respect.
Un nombre croissant de recherches démontre ainsi que l’humilité est une qualité cardinale en matière de leadership. Bien plus que le charisme ! Une des études les plus populaires a analysé le cas de 11 entreprises à succès. Ce qu’on en retire ? Deux points communs caractérisent leurs leaders : ils sont compétitifs, certes, mais surtout, ils font preuve d’humilité. Cette qualité jouerait un rôle vital pour garantir la stabilité et l’engagement des équipes. En effet, les premières recherches prouvent que l’humilité favorise la collaboration et incite au respect de la part des membres de l’équipe.
Management et humilité : 4 pratiques concrètes pour s’y mettre !
Comment reconnaître un manager humble ? Il existe des qualités connexes plus facilement identifiables dans son comportement quotidien : modestie, sincérité, ouverture aux commentaires des collaborateurs, reconnaissance, peu d’arrogance ou de narcissisme.
Vous n’êtes pas doté de ces atouts ? Pas de panique, il existe des pratiques managériales permettant de développer votre « capital humilité ». Premièrement, mettez au placard le sacro-saint statut et vos galons. Ensuite, quelques postures clés seront à adopter :
Prendre conscience de la valeur de ses collaborateurs : au lieu de se focaliser sur les erreurs commises ou les lacunes, il s’agit d’identifier et de valoriser les talents au sein des équipes. Selon un article de HBR, « les leaders-serviteurs ont l’humilité, le courage et la clairvoyance d’admettre qu’ils peuvent bénéficier de l’expertise de ceux qui détiennent moins d’autorité qu’eux »
Faire grandir les salariés : le leadership par l’humilité implique la mise en place d’une culture et d’un environnement favorisant l’apprentissage. L’idée est de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue afin d’encourager l’autonomie et la responsabilisation individuelle : deux facteurs clés d’innovation.
Se mettre au service de ses équipes : le premier réflexe lorsque l’on vient vous solliciter en tant que manager ? Trouver une solution aux problèmes ! Or, vous n’êtes pas omniscient. Donc, au lieu de vouloir tout résoudre par vous-même, aidez plutôt vos collaborateurs à trouver leurs propres solutions. Votre meilleur allié ? Socrate et sa fameuse maïeutique : questionner afin de faire émerger les idées.
Installer un cadre serein pour faciliter le travail collaboratif : il s’agit de créer un environnement de travail bienveillant où le droit à l’erreur est permis afin que les salariés puissent y tester leurs idées. Sans jugement. Ce cadre invite à la collaboration et à la prise d’initiative. L’utilisation du feedback régulier, notamment, permet de consolider une relation de confiance avec les salariés. Une belle marge de manoeuvre… car en France, 53% des salariés déclarent ne jamais bénéficier de feedbacks.
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Photo d’illustration by WTTJ
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